Cyclo-disco : la Flandrienne vue par une discothécaire
par Dora Balagny, coordinatrice données et circuits au service Musique et chargée du domaine Musiques du monde

Discothécaire à la Bpi, Dora Balagny a eu la chance de pouvoir participer à la Flandrienne, la boucle Cyclobiblio organisée entre le Nord de la France et la Belgique en juin 2023. L’occasion d’observer, des deux côtés de la frontière, la place faite à la musique dans les bibliothèques et, toujours, de la défendre .

Cela fait déjà de nombreuses années que j’entendais parler de Cyclobiblio et j’avais même tenté de m’y inscrire par deux fois, en vain. Cette année, j’avais bien noté la date et telle une groupie attendant le concert de son idole j’étais dans les starting-blocks pour prendre ma place.

Cyclobiblio était pour moi une opportunité tant personnelle que professionnelle. 

Photo de Dora Blatigny de dos qui montre son gilet bleu de Cyclobiblio 2023 devant le stand Bpi du congrès ABF

Bibliothécaire musicale depuis plus de 12 ans, secrétaire de l’ACIM (Association pour la Coopération des professionnels de l’Information Musicale) depuis 5 ans, je travaille en section musique à la Bibliothèque publique d’information depuis février. En parallèle de mon activité professionnelle, j’anime régulièrement des formations ou des ateliers sur la médiation musicale en bibliothèque et je chronique bénévolement pour une revue trimestrielle dédiée à la chanson francophone Hexagone. C’est donc peu dire que la musique est une passion. 

Malheureusement, j’ai pu constater que la musique est souvent oubliée lorsque l’on parle des bibliothèques alors qu’elle y a toute sa place. Les actions entreprises par les discothécaires pour la faire vivre en bibliothèque en dépit d’une désaffection pour le support physique sont méconnues à la fois par les collègues et par le public. 

Ce voyage était donc un moyen de découvrir les solutions trouvées dans divers établissements, que ce soit en termes de collections (fonds vinyles, collections numériques…) ou de médiations (pianos et platines à disposition, concerts, activités en partenariat avec d’autres structures sur le territoire comme l’IRCAM…). Tout au long des kilomètres pédalés (avec plus ou moins d’effort), des pauses déjeuner avalées et des bières partagées (découverte des spécialités locales oblige), j’ai pu interroger la vision des collègues sur la musique dans leur établissement. Lors d’un atelier à Bailleul, j’ai également pu expliquer les enjeux de la musique en bibliothèque aujourd’hui avec deux collègues, Sophie Cornière, ancienne présidente de l’ACIM et actuellement directrice de la médiathèque d’Elbeuf, et Jean Michel Audrain, responsable équipe Musique, Cinéma et Numérique de Juvisy-sur-Orge.

Par ailleurs, je voulais voir quelle place occupait la musique dans les bibliothèques visitées et échanger là-dessus avec les bibliothécaires et les élus, notamment en Belgique.

Au cours de mon périple, j’ai pu classer les bibliothèques visitées en trois catégories :

  • les bibliothèques musicales traditionnelles,
  • les bibliothèques musicales « rock and roll », innovantes et dynamiques,
  • les bibliothèques musicales disparues. 

Les bibliothèques musicales traditionnelles

Durant notre passage, nous avons découvert des bibliothèques disposant d’un espace musique avec un fonds de CD, de DVD et d’ouvrages musicaux. Très souvent, il s’agissait d’espace partagé avec le fonds de cinéma. Plusieurs bibliothèques proposent aussi des platines et des fonds de vinyles. C’est le cas de la médiathèque La grande plage à Roubaix qui avait conservé ses 33 Tours en réserve et qui les a ressortis, mais aussi de la médiathèque Au Fil des mots de Bailleul grâce à un prêt de la bibliothèque départementale. 

Photo du bac de CD et vinyles Musiques du monde à la médiathèque La grande plage de RoubaixPhoto du bac de vinyles Musiques du monde à la médiathèque Au fil des mots de Bailleul
Médiathèque La grande plage à Roubaix (à gauche) et médiathèque Au fil des mots de Bailleul (à droite)

Ces médiathèques proposent plusieurs animations musicales telles que des blind tests, des clubs d’écoute, des concerts à destination de tous les publics. À la médiathèque de la Corderie, nous avons été accueillis avec une lecture musicale autour du vélo proposée par les bibliothécaires. 

Les bibliothèques musicales innovantes

La Bibliothèque centrale de Courtrai en Belgique est un très bel exemple de structure dynamique et innovante. Même si l’espace musique a été réduit ces dernières années, la médiathèque propose toujours plus de 20 000 CD en collection ouverte et plus de 60 000 vinyles en réserve et qui sont visibles depuis l’espace grâce à une ingénieuse fenêtre ouverte sur les archives.

Photo des bacs à CD Musiques à la médiathèque centrale de Courtrai
© Bpi

L’espace dispose également d’un fauteuil d’écoute relié à un piano, d’un juke-box vintage et d’une magnifique cabine de visionnage (conçue par des étudiants en design). Enfin, un club de vinyles se réunit régulièrement et compte 40 à 60 usagers à chaque rendez-vous.

À la bibliothèque universitaire d’Howest, il n’y a pas de CD mais les étudiants peuvent bénéficier de nombreux logiciels audio et d’un studio d’enregistrement pour la réalisation de podcast et de MOOC.

Photo de l'intérieur de la cabine d'enregistrement et son matériel de prise de son de la bu d'Howest
© Bpi

La B!B de Dunkerque présente aussi un espace musique innovant sous forme d’un salon lumineux cosy aux assises moelleuses et confortables équipé d’un piano numérique, d’une platine vinyle et d’un système de diffusion musicale pour les séances d’écoutes collectives. On retrouve cet esprit de salon de musique à la Bibliothèque universitaire de Sciences Po Lille.

Photo du salon de musique de la B!b de Dunkerque avec son piano au centre et des canapés rouges autourPhoto du salon de musique de la BU de Sciences Po Lille avec des fauteuils et une platine vinyle avec des disques
Le salon de musique de la B!b de Dunkerque (à gauche) et celui de la BU de Sciences Po Lille (à droite)

Certaines bibliothèques municipales françaises de plus petite taille proposent d’autres innovations intéressantes : 

Les bibliothèques musicales disparues

Pendant notre périple, j’ai constaté, avec désarroi, la disparition de nombreux espaces musique dans les bibliothèques de Belgique. Ainsi la bibliothèque/ludothèque de Comines — BiblioLys, arguant que les disques ne sortaient plus, les a donnés à PointCulture. Rappelons que l’activité principale de PointCulture (ex Médiathèque, ex Discothèque nationale de Belgique) fondée en 1953, était centrée jusqu’en 2010, sur la constitution de collections audiovisuelles et le prêt de médias. Or, depuis 2010, la structure a décidé la fermeture progressive de tous ses centres de prêt direct et de médiation pour s’engager vers un service de prêt indirect (location tarifée) de ses CD et DVD. L’ACIM avait pris position contre cette évolution dans un communiqué publié en avril 2019.

Photo de la porte jaune de l'ancienne discothèque de la bibliothèque de Comines

À BiblioLys, une trentaine de livres musicaux et une porte signalant feu la discothèque sont les seuls témoignages de la thématique musique dans ce lieu. 
Interrogés, les élus et les professionnels présents ne semblaient pas s’en émouvoir. Pire, ils y voyaient une évolution inexorable. C’est regrettable de ne pas avoir réfléchi à d’autres manières de faire vivre la musique dans ces lieux au-delà du seul support CD. 

Nous l’avons vu en France pourtant : l’expérience musicale est toujours plébiscitée par les usagers via le prêt d’instruments, de vinyles ou des fonds de groupes locaux… Il est bon de rappeler qu’en Belgique comme ailleurs, la musique continue d’être une pratique culturelle privilégiée : les Belges écoutent de la musique en moyenne 17,2 heures par semaine, soit deux heures et demie par jour, selon un sondage de la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI) réalisé en 2017. Par ailleurs, selon l’enquête générale sur les pratiques et consommations culturelles de la population en Fédération Wallonie-Bruxelles de 2017, 26 % des répondants déclarent jouer d’un instrument (9 % de plus que lors de l’enquête de 2007).

Photo des ouvrages du fonds Musique de la médiathèque de Wervicq
© Bpi

Il est à noter aussi qu’il n’y a pas d’association de bibliothécaires musicaux en Belgique, à l’instar de l’ACIM qui est, de plus, soutenue par le ministère de la Culture. Or, ce voyage m’a convaincue que si la musique continue d’avoir sa place dans les bibliothèques françaises, c’est grâce aux réflexions collectives et au partage d’expérimentations rendu possible par l’ACIM et ses partenaires, notamment lors des rencontres annuelles. Il est indispensable de continuer l’advocacy autour de l’association et à fortiori autour de la place de la musique en bibliothèque. Alors, en selle pour la musique !

Photo de la collection de vinyles de la bibliothèque de Courtrai
© Bpi

Publié le 10/08/2023 - CC BY-SA 4.0

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