Corps à corps
Corpo a corpo, de Karine de Villers et Mario Brenta

Sortie en salle au Lucernaire (Paris) ;  le vendredi 4 et le mardi 8 novembre 2016, séances en présence des réalisateurs.

Karine de Villers et Mario Brenta filment les répétitions, le processus de création du spectacle Orchidées de Pippo Delbono où rien n’est écrit avant le commencement de l’aventure théâtrale. Un voyage, une traversée, une expérience entre mots, corps, musique et images.

Photo du film Corps à corps
Corps à corps © Image Création.com, WIP, 2013

L’avis de la bibliothécaire

Corps à corps : quelques mots pour un spectacle en devenir.Corps à corps : quelques mots pour un spectacle en devenir.

Comment donner à voir, à entendre, à sentir ce qui fait lien dans une compagnie de théâtre ? Comment approcher les êtres, les acteurs au cours de ce que l’on nomme « répétitions », dans le mouvement de leur travail, de ce travail qui engage leur corps qui les engage corps et âme? La réponse de Karine de Villers et Mario Brenta dans Corps à corps  est l’humilité de la caméra, la position de modestie et d’effacement face aux sujets (à aucun moment la réalisation ne joue avec une quelconque volonté d’en découdre avec ce que peut ou ne peut pas le cinéma, nul désir ici de se mesurer à de la théorie). Le cinéma de Karine de Villers et Mario Brenta est un cinéma de la proximité, qui tend à être au plus près, non à dire de façon péremptoire, mais à (s’) approcher, à accompagner les sujets filmés pour, ensemble, tenter d’être sur un même chemin, être avec et créer une communauté entre ce qui est filmé et ceux qui regardent, communauté par-delà les images, les sons et les gestes et grâce à eux.

Par où commencer ? Comment aborder ? Comment s’arrimer au travail ? À ce travail si exigeant que Pippo Delbono enveloppe de ses mains filmées avec une douceur extrême, ces mains qui dessinent et modèlent une pâte invisible, un je ne sais quoi, un presque rien qui se dérobe. Là, dans cette incertitude, là est le travail inauguré par les gammes du corps (les exercices d’assouplissements des acteurs, comme leur façon d’être assis, parfois engourdis dans les fauteuils des différents théâtres où se déroulent les répétitions ) et les idées saisies dans leur envol (« un labyrinthe », « quelque chose qui me parle de l’éternité ») et celles que Pippo rejette (« … le suicide, on l’enlève »), tandis que la musique (des notes égrainées par l’harmonica aux cascades de CD, en passant par le bruits des talons sur la scène et les voix altérées ou non par les micros), la musique, elle, est là, omniprésente.

Si, au commencement il n’y a pas de texte écrit, tout le travail est de composer avec les partitions de chacun un théâtre total où mots, sons et corps se répondant, se touchant, s’évitant, entrant en dialogue, disent des fragments de monde, des éclats des mondes intérieurs, vécus ou rêvés de chacun ou de l’un à l’autre, de l’un et l’autre, de l’un avec l’autre ou de tous conjugués en des mouvements repris en chœur. 
Dans la façon de faire, dans la fabrication de Orchidées, dans sa gésine, il y a comme le parfum de Pina Bausch, rencontrée à Wuppertal en 1987, dont le premier contact fut « Une caresse sur mon œil blessé » et dont le spectacle Arien un an plus tôt fut pour Pippo « Quelque chose qui allait au-delà de la compréhension, du théâtre, de la danse, quelque chose qui touchait à ces zones secrètes, profondes, de la vie »1

Corps à corps comme guidé par cette réflexion nous entraîne grâce à des plans d’un grand équilibre dans des lieux incertains balisés par les images de la DV de Pippo  où éclosent rires, colères, douceurs, désirs, transes, souvenirs, où rôde la mort, où se dit l’amour (impossible, sans doute, comme celui du chêne et du bouleau de la chanson russe qui clôt le film). De Bukowski à Shakespeare, d’un poème de Frida Kahlo chanté par Angélique Ionatos à la mythologie, de Berlusconi à la Cerisaie de Tchekhov, du silence et des regards de Bobò, qui aura non le dernier mot mais le dernier geste, à la nudité édénique et la grâce de Gianluca, de fragments autobiographiques à la violence d’un monologue, de l’évocation de la mère à l’apologie fantasque et distancié de Néron, des saynètes inspirées par Velasquez à la collection bigarrée de maillots de football, tout concourt à une accumulation de tableaux toujours chargés d’émotion(s), tantôt espiègles, tantôt lyriques, tantôt tragiques, tantôt surréalistes comme le petit cirque de Bobò, accumulation gourmande qui répond à l’appétence gloutonne de Pippo pour les fruits.

Les corps sont au cœur du travail de Pippo Delbono et des acteurs de la troupe issus de la danse, du théâtre, de la rue, de l’hôpital psychiatrique. Cette diversité fait toute la richesse des spectacles qui sont avant tout des moments de vie où se croisent corps, musique, mots, simulacres, masques, travestissements, tendresse, violence des rapports humains, bonheur et délicatesse d’un bain partagé, où ce qui advient est intranquille, où la complicité entre spectateurs et acteurs est une difficulté à accueillir pour (peut-être) la surmonter.

Le voyage auquel nous convient Karine de Villers et Mario Brenta, l’expérience qu’ils nous proposent, loin d’illustrer, participe de ce « théâtre du risque et de l’inconfort qui sait aussi faire la part belle à la tendresse et à l’émotion, à la douceur d’un corps exposé. Créant le trouble, offrant des images inoubliables, il se développe comme un long cri aux intensités multiples, un cri d’amour et de rage. » 22

1 Pippo Delbono, Une caresse sur mon oeil blessé in Pina Bausch et le Théâtre de la ville, programme, novembre 2009
2 Jean-François Perrier, à propos de La Menzogna

 

Rappel

Corps à Corps (Corpo a corpo), Image Création.com, WIP, 2014, 1 h 30 min
Distribué par : Wallonie Image Production
 

Publié le 07/11/2016 - CC BY-SA 4.0

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