Appartient au dossier : Voyage d’étude au Québec

Constituer des collections de proximité : un regard sur les réseaux de bibliothèques de Montréal, Longueuil et Québec
par Cécile Kerjan, responsable de collections, Bibliothèques municipales de Rennes

Lors de notre voyage d’étude, nous avons observé un maillage fin de bibliothèques dans les grandes zones urbaines de Montréal et Québec. Quels choix les réseaux de lecture publique ont-ils opérés pour constituer des collections disséminées au plus près de la population ?

Voici quelques éléments de réponse à partir d’échanges avec des professionnel·les. Je remercie Marie-Eve Leprohon et Léa-Kim Chateauneuf à Montréal, Jean-François Hétu à Longueuil et Eric Therrien à Québec d’avoir répondu à un feu de questions variées !

Montréal, Longueuil, Québec : trois contextes

Montréal est une ville de 1,7 million d’habitant·es, la deuxième la plus peuplée du Canada après Toronto et la plus grande ville francophone d’Amérique. Les Bibliothèques de Montréal forment un ensemble de 45 bibliothèques publiques réparties dans les 19 arrondissements de la ville. Le réseau est partenaire de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), qui joue le rôle de bibliothèque centrale à Montréal. Les bibliothèques des arrondissements conservent un total de 4 millions de documents (livres, revues, ressources numériques, films, jeux vidéo, etc.). Les statistiques de prêts font partie des données ouvertes mises à disposition de tou·tes par la Ville de Montréal.

Longueuil est une ville de 250 000 habitant·es située sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, face à Montréal. 445 000 documents sont proposés dans le réseau de ses 8 bibliothèques, une collection bien vivante grâce à l’ajout de près de 40 000 nouveautés par an. Environ 25% de la population est détentrice de la carte Accès, qui permet d’utiliser les services de la bibliothèque ainsi que d’autres services de loisir de la ville (piscines, etc.). Plus d’1,3 million de documents ont été prêtés en 2023.

Avec 26 établissements, la Bibliothèque de la Ville de Québec (550 000 habitants) propose à la population plus d’un million de documents. 35 % de la population est inscrite et plus de 4 millions de documents ont été prêtés en 2023.

Acquérir selon les besoins de la population

Les bibliothèques de Montréal affichent de vastes ambitions, parmi lesquelles l’accessibilité, l’innovation, le développement durable, le souci de l’autre, la collaboration, la liberté intellectuelle. Le travail de sélection des documents par les bibliothécaires s’efforce de refléter ces valeurs, en cherchant à favoriser l’accès aux arts, à la culture et aux loisirs, la litéracie, l’accès au savoir et à la connaissance tout au long de la vie, le développement de soi, l’accueil, l’intégration et l’inclusion sociale, la réussite scolaire, l’accès aux nouvelles technologies. Par exemple, le budget d’acquisition pour la bibliothèque Maisonneuve située dans l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve est de 136 400$, dont 24 000$ pour les ressources numériques. La bibliothèque est ouverte 53 heures par semaine et son personnel ajuste sa programmation, ses collections (75 000 documents) et les services offerts en fonction des réalités du quartier, plutôt pauvre et ouvrier. La structure vise une grande diversité documentaire qui s’adresse à tous les publics.

© Mélanie Dusseault Réouverture de la bibliothèque Maisonneuve à Montréal – 10 juin 2023

Pour les bibliothèques de Longueuil, le principe majeur qui guide la sélection est celui de la liberté intellectuelle et du droit à l’information. La composition de la collection doit refléter les principales caractéristiques de la société. Différents points de vue qui présentent des prises de position antagonistes doivent être accessibles afin d’aider quiconque à se faire une opinion sur les questions pouvant donner lieu à une controverse. Le réseau s’appuie sur la Charte des droits et libertés de la personne, la Charte des droits du lecteur et la Charte canadienne des droits et libertés et n’applique aucune censure ni discrimination. Les spécificités de chaque collection respectent les principes des lignes directrices pour les bibliothèques publiques du Québec. Selon ce document, un niveau de service excellent requiert que la collection soit composée d’au moins 45% de documents imprimés publiés au cours des cinq dernières années (excluant des ressources à valeur historique ou patrimoniale).

Le budget d’acquisition 2023 pour le réseau de Longueuil est d’environ 1,2 millions de dollars. La révision de la politique de développement de collection se fait tous les 5 ans et tient compte de l’évolution socio-démographique des différents quartiers. Des travaux de rééquilibrage des collections sont en outre effectués dans chaque bibliothèque, pour s’assurer que le nombre de documents fonctionne avec l’espace disponible. Au moment de cette évaluation, si la démographie d’un quartier a changé et que l’on constate que la collection ne répond plus adéquatement aux besoins, les directives d’acquisition et d’élagage seront modifiées en conséquence. Par exemple, on pourra faire plus de place à la collection jeunesse dans un secteur où beaucoup de jeunes familles se sont installées.

Avec le développement de ses collections à l’échelle du réseau, sa collection flottante, et son offre numérique permettant de maximiser l’accessibilité à la collection et à sa diversité, la Bibliothèque de Québec se positionne parmi les bibliothèques les plus performantes au Québec. Elle s’efforce de bien connaître les caractéristiques de sa population afin de répondre à ses besoins. Le budget de développement des collections est d’environ 2,7 millions de dollars. Parmi les objectifs de développement, on retrouve notamment la diversification des collections pour répondre aux besoins en évolution des citoyens ou encore le développement de collections en langues étrangères dans certaines bibliothèques.

Comment ces collections sont-elles ordonnées ? Lors de notre voyage, nous avons été étonnés de constater que la plupart des bibliothèques visitées utilisaient la classification décimale de Dewey avec de nombreuses subdivisions. Les cotes semblent aussi longues que dans la plupart des bibliothèques universitaires françaises ! Entre les rayons, de nombreux affichages récapitulent la répartition des connaissances humaines dans les 10 grandes classes du système Dewey. Différents sujets d’intérêt sont aussi listés par ordre alphabétique avec la correspondance de la classe Dewey, afin d’orienter le public vers un rayon précis.

Les bibliothèques de Québec utilisent actuellement le Cutter Sanborn pour les ouvrages de fiction qui sont classés par ordre alphabétique d’auteur et ajoutent une thématique au niveau de la cote pour une meilleure découvrabilité. Pour les ouvrages documentaires, la classification Dewey est utilisée ; la cote est également complétée avec le sujet. Bien que la cotation thématique ait été testée au sein des bibliothèques de Montréal, le souci d’uniformité des pratiques dans le réseau représente un défi important pour ce genre de projet. Il n’est pas prévu de la mettre en place dans un futur proche.

Un rayon d’ouvrages documentaires dans la nouvelle bibliothèque Gabrielle-Roy à Québec ©Bpi

Élaguer et valoriser

À Québec, la politique d’élagage est pensée au niveau du réseau. Des ventes de documents élagués sont organisées au poids : la prochaine Méga Bibliovente est prévue en 2025. À Longueuil, l’élagage est effectué en continu pour ne pas surcharger les équipes, sur une base annuelle de près de 50 000 documents. Chaque bibliothécaire est responsable à la fois du développement des collections et de l’élagage de son secteur. L’élagage peut s’effectuer directement sur les rayonnages. Une liste de documents préalablement analysée peut également être transmise dans les différentes bibliothèques. À l’échelle du Québec, il n’existe pas de standards ni pour l’élagage ni pour la réparation de documents. Les demandes de subventions du Ministère de la Culture et des Communications du Québec pour le développement des collections incluent une évaluation du taux de rafraîchissement, il est donc important pour les bibliothèques d’inclure un élagage régulier.

Valorisation de documents imprimés à la Bibliothèque Raymond-Lévesque de Longueuil ©Bpi

À Montréal, dans le cadre de programmes ou événements qui ont une portée réseau, les services centraux fournissent des listes de lecture, du matériel promotionnel ou d’animation, de l’information et parfois des documents pour de la mise en valeur des collections. Cependant, la plupart du temps, la valorisation des collections est une affaire locale en fonction de l’espace, des ressources, et des clientèles.

La Bibliothèque de Québec s’efforce également de valoriser et diversifier ses collections pour répondre aux besoins des citoyens :

  • en valorisant le personnel comme vecteur de promotion des collections ;
  • en augmentant jusqu’à 20 % l’espace de mise en valeur de la collection physique avec des tablettes de présentation, des présentoirs et autre mobilier spécialisé ;
  • en accroissant la visibilité de la collection numérique autant dans l’espace virtuel que physique des bibliothèques ;
  • en veillant à accroître la visibilité de la collection documentaire en renouvelant l’organisation des collections (foyers thématiques à la bibliothèque centrale Gabrielle-Roy ).
Le secteur bande dessinées à la bibliothèque Gabrielle-Roy de Québec ©Bpi

Toujours à Québec, une partie des actions de valorisation des collections est élaborée à l’échelle du réseau. Des calendriers thématiques sont développés, à l’occasion du mois national de l’histoire autochtone, par exemple, ainsi que des thématiques ponctuelles en lien avec l’actualité. Un signet coup de cœur standard peut être utilisé par le personnel pour mettre en avant un titre en particulier.

Prêter les documents, les faire circuler entre les bibliothèques

À Montréal, nombre de bibliothèques gardent les « chutes à documents » ouvertes même pendant les heures d’ouverture pour faciliter le retour des documents pour les gens pressés. Dans cette ville, les frais de retard ont été abolis en 2021 afin d’améliorer l’accessibilité aux collections et services, mais également pour éviter que des usagers des bibliothèques cessent de les fréquenter à cause de frais accumulés. Plus de 65% des bibliothèques publiques du Québec ont aboli partiellement ou totalement les frais de retard.

Pour la Ville de Québec, il est possible d’emprunter un document dans une bibliothèque et le retourner dans une autre. Les usagers sont autonomes pour les réservations. Pas de frais de retard là non plus, mais des pénalités si on ne vient pas chercher un document que l’on avait réservé. 80% des fonds sont flottants depuis une dizaine d’années, excepté pour la bibliothèque centrale. Du fait de cette organisation, entre 150 000 et 200 000 dollars de transports par an sont économisés. Des rééquilibrages sont effectués ponctuellement. La question des fonds flottants est actuellement en débat à Montréal, mais le système de gouvernement y est différent : gestion centralisée à Québec, budgets d’arrondissements à Montréal.

La fréquence de circulation des documents entre les quartiers est variable. Pour deux de ces réseaux, le transport est effectué par une équipe des bibliothèques ; à Montréal certaines bibliothèques ont un transit important et d’autres de moindre envergure. À Québec, la navette est opérée par un sous-traitant. Elle opère 6 jours par semaine et passe dans l’ensemble des bibliothèques 3 fois par semaine.

Pour terminer, nous avons découvert une sorte de service premium peu répandu en France, qui a suscité des interrogations au sein de notre groupe d’étude : la location de nouveautés. Vous voulez lire une nouveauté très demandée sans attendre ? Alors que certains best-sellers sont pourtant achetés en grand nombre (50 exemplaires, voire 100 dans certains cas d’exception) et disponibles gratuitement, les bibliothèques de Québec proposent plusieurs livres en location moyennant des frais. Ce système de location rencontre apparemment un succès variable selon les caractéristiques socio-économiques des populations desservies au sein du réseau.

Un service payant de location de nouveautés à la bibliothèque Gabrielle-Roy de Québec ©Bpi

Publié le 10/09/2024 - CC BY-SA 4.0

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