Interview

Appartient au dossier : Cinéma du réel 2019

« Un festival, c’est un happening »
Entretien avec Catherine Bizern

Cinéma

Catherine Bizern

À l’automne 2018, Catherine Bizern a été nommée déléguée générale du festival documentaire Cinéma du réel, dans la continuité d’une riche carrière au service du septième art. Tout en poursuivant les missions du festival, elle inaugure pour l’édition 2019 de nouvelles formes de débat et des programmations thématiques qu’elle souhaite décliner sur plusieurs années.

Depuis quand travaillez-vous à la valorisation du cinéma documentaire ?

En 2006, j’ai été nommée à la direction du festival Entrevues de Belfort. À l’époque, les compétitions de documentaires et de fictions étaient séparées, et j’ai très vite mêlé les deux. L’important, pour moi, c’est avant tout l’acte de création des cinéastes, leur manière de faire. C’est ainsi que j’aborde le Cinéma du réel: c’est un festival documentaire qui raconte le monde, et le geste du cinéaste y rend également compte de sa propre expérience.

Comment le festival évolue-t-il pour cette nouvelle édition ?

La compétition internationale et la sélection française subsistent, mais de nombreux prix seront transversaux, dont celui du premier film. Nous avons par ailleurs créé une sélection hors compétition appelée « Premières fenêtres », qui montre des premiers documentaires issus d’ateliers, des travaux étudiants.

Cette année, le festival propose aussi aux spectateurs un parcours qui interroge le geste du cinéaste. La programmation « Fabriquer le cinéma » montre des œuvres qui rendent compte de l’acte de création : des cinéastes se filment en train de faire des films, ils filment d’autres cinéastes ou conversent sur ce qu’est le cinéma. On y verra, par exemple, Autoproduction, un faux making-of de Virgil Vernier sur le cinéaste Nicola Sornaga ; des films de cinéastes sur leur propre travail, tournés pour l’émission des années quatre-vingt Cinéma cinémas ; ou encore une correspondance filmée entre Robert Kramer et Stephen Dwoskin. La programmation « Front(s) populaire(s) » consiste, elle, à revendiquer la dimension politique du cinéma. Chaque année cette section assumera un positionnement « activiste » du documentaire. Cette fois, nous proposons une sélection de dix films autour de « l’inquiétant pouvoir des images » et de la « faculté des images à inquiéter le pouvoir », pour reprendre les termes de Georges Didi-Huberman.

Enfin, le festival s’ouvre avec M, de Yolande Zauberman. C’est un documentaire dans la tradition du cinéma direct, qui cultive une force de l’imprévu grâce au personnage principal et au montage. Le sujet est a priori difficile : un jeune homme israélien raconte comment il a été abusé enfant, au sein de la communauté hassidique dont il est issu. Pourtant c’est un film joyeux, parce que le personnage a une force de vie extraordinaire et qu’on sent, chez Yolande Zauberman, la joie de libérer une parole.

Des Juifs hassidiques prient
M, de Yolande Zauberman, © CG Cinema / Phobics Films

Depuis janvier 2018, l’antenne parisienne de la Cinémathèque du documentaire est installée au sein de la Bibliothèque publique d’information. Cela modifie-t-il les enjeux du festival ?

Pour moi, un festival est un moment particulier, construit différemment des programmations à l’année comme celles de la Cinémathèque du documentaire. Néanmoins, plusieurs programmations seront reprises à la Bpi et dans le réseau national de la Cinémathèque du documentaire.

La Cinémathèque du documentaire ou des plateformes internet spécialisées comme Tënk constituent de nouveaux espaces de diffusion qui rendent plus prégnantes les questions de circulation et de restauration des films documentaires. Cette année, dans la section professionnelle du festival, nous y consacrons donc une table-ronde. Elle aura des prolongements concrets, je l’espère, à partir de 2020, lors des Rencontres du documentaire de patrimoine que nous mettrons en place.

Comment reliez-vous l’identité du festival à son implantation dans le Centre Pompidou ?

Depuis son origine, le Centre Pompidou accorde au cinéma une place considérable. Le cinéma documentaire et les arts plastiques sont mêlés depuis le cinéma d’avant-garde. Certains festivals prennent d’ailleurs en charge les hybridations entre art contemporain et cinéma dans leurs programmations. De notre côté, nous affirmons que certains documentaristes sont aussi des artistes. Cette année, une rétrospective est consacrée à Kevin Jerome Everson, dont quelques films ont déjà été diffusés au Centre Pompidou. Il travaille en 16 mm, tourne des plans-séquences, documente la communauté noire américaine, et raconte tout un pan de la société des États-Unis… C’est un artiste, et il a aussi toute sa place au sein du cinéma documentaire américain aux côtés de Frederick Wiseman par exemple.

Un autre projet résonne avec les expositions et les programmations du Centre Pompidou : chaque année, un séminaire interrogera la forme documentaire avec des artistes non-cinéastes. Cette année, ce « festival parlé » réunit des architectes, des metteurs en scène de théâtre, des gens de radio, des chorégraphes et des photographes afin d’interroger leurs pratiques spécifiques du documentaire. Pour moi, un festival ne consiste pas simplement à proposer une programmation, il sert aussi à faire circuler la parole entre tous les participants. Un festival, c’est un happening.

Propos recueillis par Marion Carrot, Bpi
Article paru initialement dans de ligne en ligne n°28

Publié le 04/03/2019 - CC BY-NC-SA 4.0

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