Les Sentinelles
de Pierre Pézerat, avec Henri Pézerat, Josette Roudaire, Annie Thébaud-Mony, Jean-Marie Birbès, Paul François, François Lafforgue et quelques autres sentinelles

Sortie en salles le mercredi 8 novembre 2017

Avec Les Sentinelles Pierre Pézerat retrace le parcours et raconte le combat des victimes de l’amiante et des pesticides des années 1970 à nos jours. Cette histoire d’engagement et de dignité retrouvée croise la figure déterminante du toxicologue Henri Pézerat, chercheur au CNRS et père du réalisateur, qui joua un rôle décisif dans cette lutte.

Photo du film Les Sentinelles
Les Sentinelles © Destiny Films, 2016

L’avis de la bibliothécaire

« Les ouvriers sont, au niveau des risques, les sentinelles du milieu environnemental » (Henri Pézerat, 1928-2009) »

Un homme à la rencontre et aux côtés de ceux qui sont en première ligne

Le film s’articule autour de la volonté forte et assumée du réalisateur de rendre compte du travail et de l’engagement de son père, Henri Pézerat. Scientifique, toxicologue, Henri Pézerat est le modèle du chercheur lanceur d’alerte. C’est dans son petit laboratoire de Jussieu à Paris au début des années 1970 qu’il démontre que la poussière blanche qui tombe des plafonds et recouvre les sous-sols de l’université est du chrysotile, de l’amiante blanc cancérigène. Dès lors il n’aura de cesse de se battre contre ce matériau fibreux effroyable pour aboutir en 1997 à l’interdiction de son utilisation en France. Henri Pézerat mettra ses connaissances scientifiques au service des victimes de l’amiante dans une lutte citoyenne menée avec sa compagne Annie Thébaud-Mony, sociologue de la santé très engagée dans la reconnaissance des cancers professionnels, auteure, entre autres, de Travailler peut nuire gravement à la santé (2008) et de La Science asservie (2014). Henri Pézerat sera l’un des fondateurs de la branche française du réseau international Ban Asbestos qui milite pour l’interdiction de l’amiante au plan mondial et participera à la création de l’Andeva (Association nationale de défense des victimes de l’amiante).
 
 Le film n’est pas le portrait hagiographique d’un homme d’exception mais l’énoncé de la mise en actes de sa volonté et de son éthique de scientifique par-delà les appartenances politiques et les corporatismes. Dès 1975 il se déplace à l’usine Amisol de Clermont-Ferrand. Grâce à sa pédagogie (« Il a fallu qu’il nous apprivoise. Et puis, par la suite, il nous a aidées à compter les morts » se souvient Josette Roudaire, syndicaliste à Amisol), il permettra aux ouvrières tisseuses d’amiante dans une atmosphère saturée de ses poussières funestes de prendre conscience du danger mortel qu’elles encourent et donc de ne plus lutter pour garder leur emploi mais pour être reconnues victimes de l’amiante. Sans l’intervention d’Henri Pézerat nombre de tragédies seraient restées sans voix, dans le silence et l’obscurité. Les images d’archives et surtout les témoignages (dont celui de Josette Roudaire, véritable pont entre le passé et le présent) affirment avec des mots forts où affleure l’émotion, attestent par leur parole singulière de cette action fondatrice et pionnière qui sera à l’origine du combat de leur vie.
 
Le parcours de quelques « sentinelles », ces travailleurs à l’avant-garde qui prennent en premier dans un choc frontal les produits toxiques,  fait également partie du film, de sa matière vivante. Ils ont pour nom : Jean-Marie Birbès, ouvrier, victime de l’amiante employé sur le site Eternit de Terssac, village à six kilomètres d’Albi dans le Tarn, Paul François, agriculteur céréalier en Charente, malade depuis 2004 après une intoxication lourde au Lasso, un herbicide puissant de Monsanto. Ils sont aussi ouvriers agricoles de la puissante coopérative Nutréa Triskalia très présente en Bretagne, eux aussi intoxiqués par des pesticides. La parole des témoins par-delà les clivages sociaux est un plaidoyer pour l’action collective qui est un contre-pouvoir. Elle montre les solidarités essentielles entre les victimes de l’amiante et des pesticides.

Un combat pour la dignité

Cette solidarité a son message d’espoir dans le documentaire qui s’achève avec la victoire judiciaire (provisoire) du pot de terre, l’agriculteur Paul François, contre le pot de fer, l’entreprise  Monsanto (depuis, la cour de cassation saisie a renvoyé le dossier devant la cour d’appel… )
Tous les parcours de ces combattants révèlent les mêmes difficultés à faire reconnaître leurs droits, la même logique implacable d’industriels criminels qui n’obéissent qu’aux lois du profit et minimisent voire nient la dangerosité de produits mortels.
Dans tous les cas, comprendre ce qui arrive puis se révolter et lutter contre l’injustice et la violence dont on est la proie est le coeur de l’action des victimes qui exigent réparation, dommages et intérêts. Les multinationales cyniques pour lesquelles le profit passe avant la santé des salariés et des populations sont mises en accusation de même qu’est pointée du doigt leur utilisation du langage scientifique pour construire des discours de désinformation. Le conflit d’intérêt, les « collusions mortifères entre industriels et chercheurs » sont également aux manettes de ce système de broyage qui repose aussi sur le chantage au chômage exercé sur les employés. 
Dans leur combat les sentinelles sont aidées par l’association Henri-Pézerat-Santé-travail-Environnement créée en 2009 après sa mort par ceux qu’il avait assistés et qui ne pouvaient concevoir de ne pas continuer à se battre collectivement contre les ravages faits à la santé au travail. C’est d’ailleurs dans le cadre de cette association-réseau que le réalisateur a rencontré les témoins comme Josette Roudaire  La parole est donnée à Annie Thébaud-Mony qui dénonce, entre autres, le manque d’études scientifiques indépendantes sur la toxicité à court comme à long terme de produits suspects. Maître François Lafforgue, avocat spécialisé dans le domaine de l’indemnisation des victimes, défenseur de Paul François s’attache à détricoter les procédés d’obstruction des grands groupes et décortique leurs stratégies judiciaires qui visent à contester « la réalité de l’intoxication puis la réalité du lien entre la maladie et le produit ».
 
Les Sentinelles est un film engagé à la confluence de la mémoire d’un mensonge criminel passé (l’amiante en France) et du futur d’une catastrophe mondiale annoncée (les pesticides) dont nous serons, si nous ne sommes déjà, tous les victimes. Cet engagement n’utilise pas une rhétorique militante préconstruite mais repose sur les mots justes, parfois bouleversants, de femmes et d’hommes pour lesquels la rencontre avec Henri Pézerat fut primordiale et pour lesquels la justice n’a pas encore fait son oeuvre. Les Sentinelles, par le pluriel de son titre, est, par-delà les discours politiques et surtout en opposition avec toutes les machines idéologiques de l’individualisation, une défense et illustration de l’action et de la résistance collectives.

Rappel

Les Sentinelles, un film de Pierre Pézerat, avec Henri Pézerat, Josette Roudaire, Annie Thébaud-Mony, Jean-Marie Birbès, Paul François, François Lafforgue et quelques autres sentinelles, production Entre les images, Rouge production, Touscoprod (financement participatif), 2016, 1 h 31 min
Distribué par Destiny Films Distribution

Publié le 08/11/2017 - CC BY-SA 4.0

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