Cassandro the Exotico!
de Marie Losier

Sortie en salles le mercredi 5 décembre 2018
 

Dans le monde bariolé et flamboyant de la Lucha Libre (le nom général du catch mexicain), Cassandro, de son vrai nom Saúl Armendáriz, est une star aussi incontournable que singulière. Il est le roi des Exóticos, ces lutteurs mexicains travestis qui torpillent les préjugés dans un sport pourtant fortement machiste. Malgré ses mises en plis, son mascara et ses paupières impeccablement maquillées, Cassandro est un homme de combats extrêmes, maintes fois Champion du Monde, qui pousse son corps aux limites du possible. Pas un combat sans qu’il ne soit en sang, qu’une épaule ne se déboîte, ou qu’un genou ne parte en vrille. Après 26 ans de vols planés, d’empoignades et de pugilats sur le ring, Cassandro est en miettes, le corps pulvérisé, éparpillé façon puzzle et le moral laminé par un passé particulièrement dur et traumatique. Tête brûlée, il ne veut cependant pas s’arrêter ni s’éloigner du feu des projecteurs…
 
 

Cassandro et Marie Losier
Cassandro et Marie Losier (Paris, 2018) © photo Jacques Puy

L’Avis du bibliothécaire

Marie Losier

Marie Losier a pratiqué dans sa jeunesse la gymnastique acrobatique (trapèze, poutres, barres parallèles…) puis la danse contemporaine et les claquettes, avant d’étudier la littérature à l’Université de Nanterre et les beaux-arts au Hunter College de New York. Elle réalise ensuite ses nombreux portraits avant-gardistes, intimes, poétiques et ludiques de cinéastes, de musiciens et de compositeurs hors normes tels Alan Vega, Jonas Mekas ou Genesis P.Orridge. Autant de films réalisés les week-ends, sur son temps libre, avec ses économies.
C’est son premier long métrage The Ballad of Genesis and Lady Jaye (2011) qui l’a fait connaître.
 

Hommage à un monde théâtral

Marie Losier rend hommage au catch mexicain et à Cassandro, à ce monde théâtral, libre et kitsch  avec une œuvre à l’esthétique « années 70 » : film tourné à l’épaule en 16 mm, pellicule parfois solarisée, surexposée, faux raccords, plans « déjà vus » d’autoroutes, de motels. Dans la bande-son on retrouve certaines références de la cinéaste comme la chanson Juke box babe d’un autre grand excentrique, le rocker « underground » Alan Vega qu’elle avait filmé en 2013, juste avant sa mort. Elle poursuit la peinture d’un monde d’originaux, de marginaux lumineux qu’elle avait commencée à New York. Cet univers est la continuité de celui d’Andy Warhol, de Lou Reed, des années 60-70 à Manhattan : marge, drogue, sexe, rock, séries B, culture populaire, homosexualité, transgression, création foisonnante. Ces références sont aussi celles de nombreuses avant-gardes et bohêmes telles la figure de Rimbaud au dix-neuvième siècle ou les foyers  artistiques de Montparnasse et de Berlin dans la première moitié du vingtième siècle. Elle filme un monde finissant, « postmoderne » avec des notes nostalgiques sans pour autant tomber dans l’écueil du lyrisme et de l’emphase. Ce film est réussi et généreux, comme est généreux son protagoniste Cassandro.  
 

Genèse du projet

La cinéaste avait assisté pour la première fois à un spectacle de Lucha Libre avec Cassandro à Los Angeles en 2012 et avait eu dès lors l’envie de le raconter. Ils se rencontrent ensuite à Mexico, puis chez lui à El Paso. Elle est attirée par ce double thème de frontière : frontière mexicaine entre El Paso et Juárez, frontière de l’identité masculin-féminin. Le film se fera en 4 ou 5 ans. « J’avais déjà voyagé à maintes reprises à Mexico City en tant que programmatrice de films et à chacun de mes voyages mon attirance pour la Lucha Libre (le nom général du catch mexicain), que j’avais découverte des années auparavant au travers du cinéma, s’était accentuée. C’est tout ce que j’aime : un monde théâtral excessif et drôle, des « personnages » de cinéma « bigger than life », des costumes multicolores et scintillants, des cris, du suspense, des prouesses acrobatiques spectaculaires et par-dessus tout c’est un moment d’allégresse regroupant toutes les classes sociales avec leurs héros du ring ! C’est le deuxième sport le plus populaire au Mexique après le foot et les catcheurs y sont vénérés comme des légendes vivantes par le public en liesse. C’est une véritable religion ! Tout le monde y est réuni et « vit » le jeu à fond, les vieux, les jeunes, c’est merveilleux. Je suis, par ailleurs, comme le public mexicain lui-même, très sensible au mystère de ces hommes musclés et masqués qui ne révèlent jamais leurs identités ni dans la vie ni sur le ring. Il y a là tout un univers de sons et de couleurs qui donne une envie folle de filmer. »
 
 

Choix esthétiques

Marie Losier tourne caméra à l’épaule avec de la pellicule. Son film a parfois une image tremblante synchrone aux fractures et aux failles du héros. Elle s’exprime ainsi sur ses choix esthétiques: « La pellicule 16mm est un ingrédient fondamental de mon travail autant que le choix entre la peinture et l’aquarelle, le marbre ou l’argile pour d’autres artistes. C’est un rapport aux choses, une texture, un rituel, une histoire aussi. D’amour et de cinéma. J’aime les trucages caméra, les filtres, les optiques différentes et même kaléidoscopiques. J’aime les techniques du début du cinéma, des Méliès, des Cocteau, des Jack Smith. Le choix de la pellicule est un travail sur la matière-film, sur la mythologie-film aussi. Mais c’est avant tout un rapport à l’autre, car c’est le plus souvent sans son synchrone, juste l’image et, par ailleurs, j’aime aussi l’attente avant de voir la pellicule tirée. C’est pour moi le vecteur, le liant entre moi et la personne que je filme, par là que tout passe, l’émotion, la beauté, le jeu aussi. »  
 

Quintessence de l’univers de Marie Losier

Cassandro, par bien des aspects, est une quintessence de l’univers de Marie Losier. Habituée des survivants, des fracassés de la vie, drôles, colorés et insolents, elle s’éloigne des conventions chronologiques et biographiques du portrait pour s’attacher à un moment précis. Elle privilégie les mises en scènes oniriques qui permettent de parler d’un contexte social et politique en transfigurant le réel. Dans ce dernier film Marie Losier s’est aventurée avec talent hors du milieu artistique, dans un monde inconnu de types baraqués et de combinaisons en lycra lurex.

Rappel

Cassandro the Exotico! de Marie Losier, France, 2018, 1h 13 min., production Tamara Films, Tu vas voir, Garidi Films
Distribué en salles par Urban Distribution

Bande annonce Cassandro the Exotico! de Marie Losier (France, 2018, Urban Distribution)

Publié le 30/11/2018 - CC BY-SA 4.0

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