Birds of America
de Jacques Lœuille

Sortie en salles le mercredi 25 mai 2022.

Au début du XIXe siècle, un peintre français, Jean-Jacques Audubon (1785-1851), parcourt la Louisiane pour peindre tous les oiseaux du Nouveau Continent. Sur le Mississippi, Birds of America retrouve les traces de ces oiseaux, aujourd’hui disparus, et révèle une autre histoire du mythe national.

Birds of America © Météores Films – ARTE France Cinéma

L’avis de la bibliothécaire

Dès les premières images du film, le spectateur voyage à travers une époque révolue. Alors que la voix du comédien Jean-François Sivadier reprend les mots de John James Audubon et évoque le « paradis » américain, les « forêts de cyprès » qui longent le Mississippi, nous ne voyons à l’écran qu’usines pétrolières et bateaux de croisières. Les grands espaces sauvages et la faune luxuriante ont cédé leur place à deux siècles d’industrialisation massive.
Prenant le temps de nous faire naviguer entre passé et présent, Jacques Lœuille (qui signe ici son premier long métrage documentaire) partage sa vision écologique à travers l’expérience d’Audubon et de celles d’Américains d’aujourd’hui. Depuis les rives du XXIe siècle, le réalisateur adresse une lettre ouverte à Audubon, et lui présente les images polluées de notre époque.

De son enfance nantaise à la découverte de la Pennsylvanie à la fin de son adolescence, Jean-Jacques Audubon (devenu John James Audubon après sa naturalisation américaine en 1812) n’a eu de cesse d’observer son environnement et de se passionner pour la richesse de la nature. Très vite captivé par le mouvement des oiseaux, il entreprend un voyage inédit avec pour intention de peindre et décrire tous les oiseaux d’Amérique.
Ce travail incroyable de recherche, d’observation et d’endurance durera des décennies et le fera emprunter plusieurs fois le cours du Mississippi, alors frontière naturelle entre la civilisation et le monde encore sauvage. Sur les rives du fleuve mythique, se nichent des espèces uniques – tellement uniques que le peintre-ornithologue laissera des témoignages exceptionnels sur les habitudes de vie d’oiseaux aujourd’hui entièrement disparus.

Birds of America © Météores Films – ARTE France Cinéma

Au propre comme au figuré, Audubon part à la chasse des espèces volatiles qui l’entourent et dresse un portrait de leurs habitudes avec une finesse d’observation qui rend son travail admirable ; il est le premier ornithologue à représenter les oiseaux dans leurs espaces naturels, et à les incarner dans un mouvement authentique, et non pas de manière figée comme c’était le cas jusque-là.
Ces observations sont d’autant plus précieuses qu’elles nous parlent d’oiseaux chassés par l’homme, à la fois bourreau et victime de ses actes. Parce que l’homme est dévoré par des rêves de grandeur, d’industrialisation, de pouvoir, il rejette ce qui se met en travers de sa route quitte à en payer le prix plus ou moins rapidement. Certaines espèces, comme la colombe voyageuse qui se comptait en millions d’oiseaux, se raréfient jusqu’à disparaître de la faune américaine. Ainsi, même à son époque, Audubon guette des espèces devenues singulières, en danger. Dans Birds of America, sa grande œuvre publiée à Londres par Robert Havell Jr, le peintre-naturaliste décrit 489 espèces d’oiseaux : depuis, sept de ces espèces sont portées disparues, une dizaine d’autres en voie d’extinction, quatre-ving-dix dangereusement menacées et deux cent dix autres s’affaiblissent.

Birds of America © Météores Films – ARTE France Cinéma

La plongée dans le passé est enrichie par des témoignages d’hommes et de femmes d’aujourd’hui, porteurs d’une parole de mémoire. Les conservateurs de musées où sont préservés quelques spécimens d’espèces disparues côtoient les autochtones d’Amérique, qui revendiquent le caractère essentiel de la nature pour mener à bien nos vies d’hommes.

Les Ojibwés et les Osage notamment partagent leurs inquiétudes quant à la disparition de certains oiseaux, symboles puissants de la nature pour ces peuples qui vivent en harmonie avec les saisons et le mouvement des animaux. Le Mississippi est en effet un immense couloir migratoire, mais les champs de coton ont été remplacés par des champs de pétrole, obligeant les espèces à migrer et à tenter de s’acclimater à d’autres espaces, ce qui n’est pas réalisable pour tous les animaux.
Il y a une corrélation entre l’effacement des Indiens et des oiseaux : petit à petit, ils ont disparu du paysage et l’oubli gagne les terres industrialisées. C’est l’une des tristes conséquences de la politique d’Andrew Jackson, président des États-Unis de 1829 à 1837 : il est le responsable de la déportation de dizaines de milliers d’Améridiens, du Mississippi vers les États de l’Est. Les Cherokees, les Creeks, ont emprunté la « piste des larmes » avant d’être cantonnés dans des réserves où même la nature semble avoir renoncé à se montrer. En agissant aussi violemment contre le cours naturel des choses, l’homme se coupe d’une possible vie harmonieuse et brûle ses propres ailes au passage.

Birds of America © Météores Films – ARTE France Cinéma

Tout cela se passe donc à l’époque où John James Audubon traverse le pays pour ses recherches ; alerté sur la fragilité du monde qui l’entoure, il prend très vite conscience de l’urgence écologique. Lui-même observe déjà, pendant ces décennies, la diminution de certaines populations de volatiles ; lui-même craint déjà d’être le dernier œil à se poser sur certains oiseaux, comme le pic à bec d’ivoire. Il écrit : « Si je ne le peins pas maintenant, personne ne verra plus jamais ces êtres. »
Le pic à bec d’ivoire garde une place prépondérante dans la tradition améridienne, bien qu’il ait disparu depuis plus d’un demi-siècle désormais ; Birds of America partage quelques images de cet oiseau, filmé en 1935. C’est comme si l’on assistait alors à un spectacle fugace et magique, qui suscite d’autant plus l’envie de préserver la faune et la flore, indispensables à la bonne marche écologique de la Terre.

Autre exemple : la perruche de Caroline, qui orne l’affiche de ce film, a été chassée pour son plumage. Véritable nuisible pour les agriculteurs, car elle détruisait tous les vergers en se nourrissant des graines, des fruits, mais aussi des bourgeons, la perruche (ou conure de Caroline) a subi les assauts des cultivateurs qui l’ont abattue en masse. À la fin du XIXe siècle, on ne pouvait plus l’apercevoir dans son milieu naturel ; seuls quelques spécimens survivaient encore en captivité. Depuis, elle a entièrement disparu.

Les alertes sont nombreuses mais l’homme feint l’ignorance ou l’indifférence. En cela, Birds of America dresse un portrait sans illusion du cours des choses depuis que l’homme s’efforce de dompter la nature, au point de l’étouffer, la faire taire. Les siècles passés ne sont plus que des songes, leur réalité s’efface quand les espèces disparaissent. Le voyage est encore possible grâce à l’œuvre de John James Audubon et de ceux qui, comme Jacques Lœuille, gardent les yeux ouverts sur la réalité du monde et agissent contre l’oubli.

Bande annonce

https://youtu.be/07yUuYhFsNM

Rappel

Birds of America – Réalisation : Jacques Lœuille – 2020 – 1 h 24 min – Production : Météores Films – Distribution : KMBO

Publié le 23/05/2022 - CC BY-SA 4.0

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