Appartient au dossier : Voyage d’étude à Barcelone, octobre 2016

Le réseau des bibliothèques de la province de Barcelone dans tous ses états
par Claire Gaudois (Bibliothèque Départementale du Val d'Oise) avec la collaboration de Geneviève de Maupeou (Bpi)

Deux jours pour visiter et appréhender la richesse des bibliothèques de Barcelone nous ont garanti un séjour intense. La visite d’équipements récents, alliée à la réflexion de nos collègues catalans sur les enjeux d’évolution de leur réseau de lecture publique nous ont apporté de précieux éclairages sur la dynamique à l’œuvre dans les bibliothèques de la province de Barcelone.
 

XBM

Le réseau des bibliothèques de la «diputacio» ou province de Barcelone (nom de code : XBM) qui était l’hôte et l’organisateur des visites lors de ce séjour, est globalement l’équivalent d’une BDP, bien que le contexte institutionnel soit très différent : l’Espagne étant un état fédéral, les grandes régions autonomes exercent bien plus de compétences que nos régions, et les provinces bien plus que nos départements. La culture en particulier est une compétence de la région, et la Catalogne s’est dotée d’une loi sur les bibliothèques assez contraignante pour les communes ainsi que de moyens qui permettent de la mettre en œuvre. L’exécutif de la province n’est pas élu en tant que tel, il est composé d’élus municipaux délégués par les communes (comme pour nos conseils communautaires).

Sur les 311 communes de la province de Barcelone (c’est la deuxième région la plus grande d’Espagne)  50% ont moins de 3 000 habitants : dans le cadre de la loi elles ne sont pas soumises à l’obligation d’avoir une BM et sont desservies par bibliobus.
La province ne gère pas de bibliothèque départementale au sens de lieu de stockage et de choix de documents : elle ne prête pas elle-même les documents (sauf par le bibliobus) mais elle les acquiert et les traite pour fournir les bibliothèques du réseau.
La province offre des services et un soutien, elle ne subventionne pas les communes, mais prend en charge financièrement :
-la construction et/ou le réaménagement des bâtiments, en concertation avec le projet communal (dont elle a soutenu la programmation) 
-la collection de départ + 50% des acquisitions annuelles (documents choisis par les bibliothèques dans une liste, et livrés « prêts à prêter »)
-le personnel qualifié de toutes les bibliothèques
-l’informatique (équipement et maintenance)
-le numérique
-la navette

Trois principes clés fondent la politique du réseau :

-les communes sont des « clients » et un contrat est passé avec elles sous forme de programme
-la préparation de l’avenir
-la durabilité

 La coopération comme organisation

Ces trois axes s’incarnent dans l’organisation et les propositions de XBM qui œuvre, notamment depuis 2010, pour davantage de coopération au sein du réseau. En s’appuyant sur les 1300 personnes au service des 224 bibliothèques, XBM a mis en place un environnement de travail plus coopératif, pour insuffler une nouvelle culture de l’amélioration. XBM a créé une méthodologie en proposant à ses agents un écosystème de communautés de pratiques, où, à partir d’objectifs validés, des groupes de travail se constituent sur la base du volontariat. En 2016, on recensait 58 « communautés de pratiques », dotée chacune d’un animateur. 49% des agents y participent.  Quinze de ces groupes travaillent sur l’amélioration des services en bibliothèques, 18 sur la production de contenus et les services, d’autres sur les réseaux territoriaux et d’échanges. Les résultats sont partagés et diffusés sur une plate-forme collaborative.

XBM propose à ses publics une offre numérique multiple, appelée à évoluer

Au sein du catalogue général, chaque bibliothèque dispose de sa propre page pour présenter ses activités. Si il n’y a pas de recherche fédérée possible, les contenus publiés peuvent cependant être réutilisés grâce à la communication qui règne entre les différents systèmes (catalogues/ portail/ réseaux sociaux).
Trois catalogues en ligne sont à disposition du public :
-le catalogue collectif  Aladi
-un catalogue regroupant les collections locales numérisées : Trencadis 
-et la plateforme Ebiblio  pour le prêt de livres numériques. Cette plateforme nationale, qui en Catalogne a bénéficié de développement spéciaux, questionne cependant les bibliothécaires en termes d’efficacité et de visibilité. En effet, avec plus de 39 694 titres, dotés chacun de 5 à 26 licences, on compte seulement 920 prêts de livres numériques par mois pour l’ensemble de la Catalogne.
La page Facebook compte plus de 4 600 abonnés, quatre posts quotidiens sont assurés, mais il n’y a pas encore de contribution des usagers.
En termes de recommandations, le réseau passe par le format vidéo pour la fiction. Une fois par mois un auteur répond aux questions des lecteurs.
Un service de questions/réponses en ligne est en place avec des services personnalisés (alertes sur les nouveautés par exemple).
En plus du portail général, un portail est spécialement dédié à la  jeunesse :  Genius.
Quant à l’application pour mobile avec une carte de lecteur virtuelle, elle connaît un grand succès : elle a été téléchargée 12 000 fois en trois mois depuis sa mise à disposition récente.

À propos de quatre bibliothèques

Chaque bibliothèque visitée a été choisie en fonction de la spécificité de son projet, pour illustrer les grandes tendances. Toutes étaient récentes ou récemment réaménagées.Toutes les bibliothèques de la province ouvrent entre 35 et 50h par semaine avec un ratio de personnel très faible par m2 (5 à 6 personnes pour 2 000 m2 par exemple) alors que leur programme d’animation est très chargé.
Toutes les bibliothèques sont gratuites pour tout ce qu’elles proposent.
Les statistiques annuelles prennent en compte « l’acte d’emprunt » (on compte non seulement le nombre de documents empruntés mais aussi le nombre de fois où un emprunt a eu lieu, quel que soit le nombre de documents). Comparé au nombre d’entrées, ce chiffre permet de démontrer que globalement, 60 à 80% des fréquentants n’empruntent pas.
Pas ou très peu de jeux de société dans les bibliothèques (un peu dans certaines sections jeunesse). Pas de jeu vidéo, ni sur place, ni en prêt : un essai de prêt a été fait il y a quelques années, qui a été jugé peu concluant (les emprunteurs ne rendaient pas les jeux)  et n’a pas été repris. Le jeu en bibliothèque n’est pas « dans le viseur ».
Chaque bibliothèque gère un ou plusieurs fonds spécifiques qui l’identifie comme ressource dans le domaine dans le réseau.Toutes les bibliothèques de la province ouvrent entre 35 et 50h par semaine avec un ratio de personnel très faible par m2 (5 à 6 personnes pour 2 000 m2 par exemple) alors que leur programme d’animation est très chargé.

Casteldefells, bibliothèque Jamon Fernàndez Jurado

Vue extérieure de la bibliothèque de Casteldefells
Façade extérieure de la bibliothèque, Geneviève de Maupeou, [CC-BY-SA-3.0]
 
Vue extérieure de la bibliothèque de Casteldefells
Façade extérieure de la bibliothèque, Geneviève de Maupeou, [CC-BY-SA-3.0]
 

Espace intérieur de la bibliothèque de Castelldefels
Espace intérieur de la bibliothèque, Geneviève de Maupeou, [CC-BY-SA-3.0]
 
Façade extérieure de la bibliothèque, Geneviève de Maupeou, [CC-BY-SA-3.0]
 

Dans cette banlieue de 65 000 habitants, le revenu par habitant est en augmentation et le niveau de formation est élevé.  Le projet d’équipement « Biblioteca & CO » est fondé sur la participation des habitants, du tissu local associatif et des commerces et entreprises locales. La bibliothèque est récente (2012) en cœur de ville balnéaire, proche de Barcelone. La municipalité offre des services de bibliothèques publiques depuis 1987, mais l’ancien équipement n’était pas central et ne comptait que 800 m2.
La bibliothèque accueille aussi la radio municipale, au rez-de-chaussée, qui signale sur ses ondes la programmation hebdomadaire des bibliothèques
À présent, la bibliothèque compte 32 000 inscrits et 4 000m2. 16 personnes y travaillent et elle est ouverte 50 heures par semaine. On compte par jour d’ouverture : 662 entrées, 151 opérations d’emprunt, 639 documents prêtés.

San Cugat del Vallès, bibliothèque Miquel Batllori

Façade de la bibliothèque Miquel Batllori
Façade de la bibliothèque Miquel Batllori, Charlotte Hénard, (CC-BY-SA-3.0]
mobilier de la bibliothèque Miquel Batllori
Espace intérieur de la bibliothèque Miquel Batllori, Charlotte Hénard, [CC-BY-SA-3.0)
Façade de la bibliothèque Miquel Batllori, Charlotte Hénard, (CC-BY-SA-3.0]

Grande ville universitaire, riche et prospère de 90 000 habitants,  en expansion, dont Mme le Maire est…présidente de la Province ! Sa population constituée de catégories socio-professionnelles supérieures, est exigeante (70% sont des universitaires).
La bibliothèque Miquel Batllori est de construction neuve (ouverte depuis 18 mois au moment de notre visite) dans un quartier en pleine expansion. Elle dessert environ 15 000 habitants, une population jeune (famille, jeunes couples avec enfants) et aisée. C’est le seul équipement public du quartier.
Le point fort de la bibliothèque est l’espace nommé « Living Lab », créé et géré par un consortium ville/université/province/association d’habitants. Il est dédié à l’expérimentation et aux projets participatifs numériques : des projets sont proposés soit par les habitants, soit par l’université voisine, soit par XBM…et font l’objet dans cet espace de l’élaboration de prototypes qui peuvent ensuite être réutilisés ailleurs (ou pas).
a volonté est que la bibliothèque soit facilitatrice : elle met à disposition les ressources, les outils, mais ce sont les « voisins » (entendre « les habitants »)  qui décident de ce qu’ils veulent en faire. Le Living Lab est animé, entre autres, par un chercheur en intelligence artificielle de l’université locale, très enthousiasmant sur le thème du numérique participatif, de la co-construction avec l’usager et de la participation citoyenne ! 
La bibliothèque Miquel Batllori compte 834 inscrits, 1 000 m2, 4 personnes et un concierge y travaillent. Elle propose 35 heures d’ouverture hebdomadaire.
On recense par jour d’ouverture 166 entrées, 33 opérations d’emprunt, 125 documents prêtés. La collection initiale était de 10 000 documents, depuis juin 2015 elle atteint les 18 000 documents.

Santa Coloma de Gramenet, bibliothèque del Fondo

Photographie de la cuisine de la bibliothèque
Cuisine de la bibliothèque, Charlotte Hénard, [CC-BY-SA-3.0)
Tableau avec le programme de cuisines du monde
Les recettes de Cuisine du monde sur un tableau dédié, Charlotte Hénard,[CC-BY-SA-3.0]
Cuisine de la bibliothèque, Charlotte Hénard, [CC-BY-SA-3.0)

La bibliothèque est une annexe du quartier du Fondo (30 000 habitants), quartier pauvre et populaire, multi-ethnique. Elle a ouvert en 2014 dans une commune qui compte 120 000 habitants.
Un comité consultatif convoqué par le Maire a présidé au projet de construction de la bibliothèque. Celui-ci était constitué des habitants, de professionnels des bibliothèques, d’universitaires du proche campus, qui possède un département d’enseignement hôtelier. Le projet d’équipement a été fondé sur le besoin de cohésion sociale et d’interculturalité. Le moyen choisi : la cuisine, comme vecteur de créativité, de coopération, d’insertion et de cohésion sociale ! Avec le projet « Cuisines du monde », la gastronomie se décide à l’aune de la diversité du quartier en valorisant ses habitants à qui l’on propose d’animer des ateliers en fonction de leur culture. Sur place, un chef avec une étoile Michelin a aidé à donner de la reconnaissance à ce projet. Une cuisine professionnelle occupe donc un espace au coeur de la bibliothèque et peut être mis à disposition des associations, des écoles. De multiples partenariats  assurent le dynamisme de l’équipement que ce soit avec des restaurants ou avec le centre social. Dans tous les cas, tout passe par la cuisine !


Il y a 2815 inscrits, 2 000 m2, 6 personnes y travaillent et la bibliothèque est ouverte 40h par semaine.On recense par jour d’ouverture  421 entrées, 35 opérations d’emprunt, 132 documents prêtés.

Sant Gervasi, bibliothèque Joan Maragall

Vue extérieure de la bibliothèque de Sant Gervasi
Le bâtiment vue de l’extérieur, Charlotte Hénard, [CC-BY-SA-3.0]
Rayonnages et signalétique à la bibliothèque de Sant Gervasi
Rayonnages et communication autour du festival de court-métrage, Charlotte Hénard[CC-BY-SA-3.0]
Le bâtiment vue de l’extérieur, Charlotte Hénard, [CC-BY-SA-3.0]

Barcelone est divisée en dix quartiers. Elle est dotée d’une bibliothèque centrale et d’un maillage très dense pour les bibliothèques de proximité.  Chaque citoyen doit bénéficier à moins de 800 mètres de chez lui ou de son lieu de travail d’une bibliothèque (ce qui représente 15 à 20 minutes de marche). Dans le quartier de Sant Gervasi, qui comprend deux bibliothèques, Joan Maragall est la plus récente de l’ensemble du réseau barcelonais (construction en 2014). Ici, les espaces sont flexibles pour favoriser la médiation. En projet, la création d’un « American space» (partenariat entre le consulat des Etats-Unis et la mairie)  qui serait un espace fermé, afin de promouvoir les études aux Etats-Unis.
 Après la progression des constructions entre 1996 et 2015, le temps est plutôt à la rénovation et aux adaptations. Les bibliothèques seront aménagées par phase afin de répondre aux nouveaux usages et les efforts se concentrent  d’ores et déjà sur une réflexion à propos de ces usages. En effet, 70% des usagers n’empruntent pas les collections (dans d’autres équipements, il s’agit de 90% des usagers).
De multiples partenariats sont ici aussi mis en place (pour la recherche d’emploi, les questions d’orientation) et bien sûr des propositions d’animations. Un festival de court-métrage (dans l’ensemble des bibliothèques de Barcelone) donne lieu à des partenariats avec l’école supérieure de cinéma, les centres sociaux pour proposer des conférences, des projections, des concours, des ateliers de scénarios.  Toute l’année, des écrivains retrouvent les lecteurs autour d’un thème. L’équipe de 10 personnes, accueille 800 utilisateurs quotidiennement et ouvre 50,5 heures par semaine. L’essentiel du temps d’ouverture devrait être consacré à la médiation plutôt qu’aux tâches techniques mais cela est parfois complexe en raison du peu de personnel. L’objectif est d’offrir des expériences vitales aux publics (toucher, sentir,…).

Le dynamisme d’un réseau

Développé grâce au principe de la coopération, qui touche à la fois la structuration interne et le lien aux territoires et aux usagers, XBM réjouit par l’enthousiasme de ses équipes et la diversité de ses projets. Le réseau a bien répondu au défi architectural en organisant un tissage de proximité pour l’ensemble des citoyens et poursuit ses actions autour de la place à accorder aux citoyens. La cohésion sociale, qu’elle passe par la cuisine ou par l’innovation technologique, fait toujours partie des projets. Dans un esprit d’ouverture sans cesse renouvelé, les acteurs de proximité sont partout sollicités pour que la lecture publique s’adapte continuellement aux nouveaux usages. Bravo XBM !
 
 
 
 
 
 

Publié le 20/03/2017 - CC BY-SA 4.0

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