Appartient au dossier : Santé mentale et bibliothèques

« Autour du livre », un partenariat entre les bibliothèques de Paris et le GHU Paris psychiatrie et neurosciences
rencontre avec Alexandre Favereau-Abdallah, chargé de mission développement et accueil des publics, ville de Paris

En novembre 2023, une convention de partenariat a été signée entre le Service des Bibliothèques et du Livre de la Ville de Paris et le Groupe Hospitalier Universitaire Paris psychiatrie & neurosciences (GHU). L’objet de ce partenariat est à la fois de développer la médiation autour du livre dans les pratiques des soignants et de favoriser l’inclusion des usagers de la psychiatrie dans les bibliothèques parisiennes.

Ce partenariat a été présenté à l’Hôpital Sainte-Anne le 13 juin 2024, lors d’une matinée d’échanges entre bibliothécaires et soignants sur les actions existantes et à venir, ouverte par Guillaume Couillard et Aurélie Filippetti, et clôturée par Lisa Mandel, autrice de la bande dessinée Se rétablir.

Nous avons rencontré Alexandre Favereau-Abdallah, chargé de mission développement et accueil des publics au Service des Bibliothèques et du Livre de la ville de Paris pour nous en parler.

Quel contexte a préfiguré la mise en place de ce partenariat ?

La ville de Paris est partie du constat que de plus en plus d’usagers souffrent de troubles psychiques, ce qui génère à la fois des situations de charge mentale pour les bibliothécaires, des situations de conflits entre usagers et, au-delà, un questionnement sur les modalités d’accueil à déployer pour proposer les conditions d’un accueil inconditionnel de qualité.

Une première journée d’étude a été organisée pour les bibliothécaires, avec des psychiatres et des soignants, pour rassurer les équipes, réfléchir collectivement à l’accueil de ces publics, se nourrir de l’expérience des soignants et mesurer que les psychiatres eux-mêmes sont parfois démunis. Puis le Covid est arrivé…

Des actions existaient déjà dans les bibliothèques, des accueils, des partenariats, une heure calme par exemple… Cela a donné de la visibilité aux bibliothèques et suscité l’intérêt de certaines structures.

En 2021, il y a d’abord eu une demande de la part du GHU, par l’intermédiaire du lab-ah, avec qui nous co-portons le projet, d’être accompagnés pour les accompagner autour du développement d’espace autour du livre en centre de soins. La ville de Paris et le GHU ont très vite décidé d’aller au-delà, en proposant des accueils, des médiations, en parlant de formations, en expérimentant, en tentant de créer les conditions pour que chaque bibliothèque puisse être adossée à un centre de soin.

Des bibliothécaires et soignants présentent leurs actions sur la scène de l’auditorium de l’Hôpital Sainte-Anne
Matinée d’échanges entre bibliothécaires et soignants, le 13 juin 2024 à l’Hôpital Sainte-Anne

Quelles actions sont rendues possibles par ce partenariat ?

Ce partenariat permet aux 68 bibliothèques de la ville et aux 170 structures du GHU Paris de s’associer pour proposer aux usagers de la psychiatrie des actions communes : ateliers et rencontres, dans les services ou en bibliothèque, création de lieux dédiés à la lecture dans les services de soin, accès privilégié aux bibliothèques du réseau, formations…

Les enjeux sont nombreux : travailler la déstigmatisation des troubles mentaux et permettre l’inclusion facilitée de ces usagers dans les bibliothèques, poser ce sujet comme axe fort d’un accueil inconditionnel, mais aussi accentuer l’inscription des médiations autour du livre dans le processus de réhabilitation psycho-sociale.

Nous déployons progressivement de nombreuses actions (au sein d’une dizaine de bibliothèques), s’appuyant notamment sur des temps croisés soignants/bibliothécaires précieux pour favoriser l’interconnaissance.

En termes de médiations, celles-ci prennent des formes variées, auprès de publics divers : retisser du lien à travers les livres pour des mères ayant des difficultés pathologiques à interagir avec leurs jeunes enfants, ateliers de dessin ou discussion autour de la littérature avec des adolescents internés en grande détresse psychologique, des ateliers de jeux en bibliothèque pour des patients internés dans un hôpital de proximité, ou des accueils autour du livre, avec des lectures pour des usagers neuroatypiques, par exemple.

Des bibliothèques vivantes sont aussi organisées : à la suite de séances d’ateliers d’écriture, nous proposons des livres vivants (patients, professionnels du soin ou des bibliothèques) les espaces sont aménagés dans des endroits calmes de la bibliothèque, où des usagers peuvent aller à la rencontre de livres vivants.

Comment cela s’organise-t-il en termes de ressources humaines ?

Des formations Premiers Secours en Santé Mentale (PSSM) ont été proposées aux équipes. On a la chance aussi, à Paris, de pouvoir bénéficier d’un certain nombre de formations gratuites. Nous sommes en train de finaliser avec la maison perchée (association de pair-aidance) et le lab-ah, avec qui nous co-portons ce projet, un programme de formations spécifiquement à l’intention des bibliothécaires. Cela s’accompagne du fait que l’on accueille beaucoup d’usagers avec des troubles psychologiques.

En termes de méthodologie, l’interconnaissance est fondamentale et au cœur du dispositif. Lorsqu’un binôme d’établissements intègre le partenariat, des visites des deux sites sont organisées (où je suis présent avec mon homologue du lab-ah) et chaque structure évoque ses enjeux, ses envies, ses besoins, ses moyens afin de proposer à chaque fois des actions originales en phase avec les publics, les locaux, les effectifs, les temporalités, les possibilités de chacun. Ces projets reposent sur le volontariat, l’envie, la volonté, il n’y a pas d’injonctions.
Nous organisons aussi des temps annuels de rencontres, d’échanges de pratiques entre les bibliothèques participantes et, une fois par an, les équipes des bibliothèques en partenariat avec le GHU se réunissent, pour un temps de présentation des projets, d’interconnaissance ou d’information (en 2023, nous avons proposé un panorama de la psychiatrie en France, par exemple).

Au sein des équipes des bibliothèques, il est particulièrement important d’avoir des personnes ressources, clairement identifiées. Cette dimension est essentielle pour permettre aux patients interné qui viennent en bibliothèque – ce qui peut être complexe – d’avoir des personnes qui vont les rassurer et permettre la réussite des projets. De ce fait, les calendriers d’animation s’organisent en fonction de leurs disponibilités par exemple. Mais l’idée force est que cela irrigue l’ensemble des équipes et ne se limite pas aux personnes référentes, en intégrant ces dimensions sur le long terme (fiches de poste, projets d’établissements, etc.)

Un projet de rédaction de guide des bonnes pratiques est en cours. Tous ces outils doivent servir à l’accueil en service public et à d’autres partenariats sur ce champ, car, s’il est essentiel, ce n’est qu’un des acteurs parmi un champ très riche de partenaires et d’intervenants.

Quels seront les critères d’évaluation de ce dispositif ?

La construction d’outils d’évaluation adaptés sera cruciale car il est nécessaire de mesurer l’impact de ces actions.

Mais c’est un projet qui s’inscrit dans le temps long, avec une forte dimension d’expérimentation. L’articulation entre la logique de réseau et la logique propre aux bibliothèques concernées est aussi fondamentale.

Les actions sont accompagnées par Service des Bibliothèques et du Livre et le lab-ah, mais elles sont mises en place et portées par la rencontre des deux structures.

Publié le 06/12/2024 - CC BY-SA 4.0

0 0 votes
Article Rating
S’abonner
Notifier de
guest
0 Commentaires
Oldest
Newest Most Voted
Inline Feedbacks
View all comments