Apprendre
de Claire Simon

Sortie en salles le mercredi 29 janvier 2025.

Après Notre corps (2023) où elle a filmé à l’Hôpital Tenon dans le 20e arrondissement de Paris « l’épopée des corps féminins dans leur diversité, leur singularité tout au long des étapes sur le chemin de la vie », Claire Simon, avec Apprendre, nous fait partager le quotidien de l’école élémentaire Anton Makarenko, à Ivry-sur-Seine en proche banlieue parisienne.

Photo du documentaire Apprendre.
Apprendre © Condor Films.

« Élever l’homme, c’est faire naître en lui des perspectives d’après lesquelles s’organiseront ses joies de demain. »

Anton Makarenko, Le Chemin de la vie

Quatre joyaux sur le chemin d’une réalisatrice

Claire Simon, scénariste, actrice, directrice de la photographie, monteuse et cinéaste née en 1955, a commencé par réaliser des courts métrages en autodidacte dès les années 1970. Après son passage aux Ateliers Varan, elle s’oriente vers le cinéma direct et le documentaire.
En 1997, elle réalise son premier film de fiction, Sinon, oui. Femme libre, Claire Simon est l’auteure d’une œuvre hybride. Sa filmographie révèle un intérêt pour l’enfance et la jeunesse.
Dans Récréations (1993) elle filme la cour d’une école maternelle où se déploie l’absolue nécessité des jeux parfois cruels des enfants entre eux. Le Concours (2016) s’attache à capter le désir de cinéma des candidats aux concours d’entrée à la Fémis.
Dans Premières solitudes (2018) elle travaille avec les élèves option cinéma de Première littéraire du Lycée Romain Rolland d’Ivry-sur-Seine. Filmés par groupe de deux ou trois, pendant les intermèdes de la vie scolaire, ils réfléchissent et confrontent leurs expériences de la vie et de la solitude.
Les dialogues sont construits à partir de leurs entretiens individuels avec Claire Simon. Avec Apprendre, la réalisatrice retourne pour la quatrième fois à l’école.

Une école élémentaire nommée Anton Makarenko

Claire Simon pensait filmer une école à Montrouge. En quête d’une plus grande mixité sociale, elle choisit de revenir à Ivry-sur-Seine, ville limitrophe de Paris située dans le Val-de-Marne, le « 9-4 ».
Au plan politique, Ivry est considérée comme un bastion du Parti communiste français dont sont issus tous ses premiers édiles depuis 1925.
Nommer une école élémentaire Anton Makarenko (1888-1939) c’est rendre hommage à un pionnier né en Ukraine, créateur dès 1920 de la colonie Gorki, qui bouleversa les conceptions pédagogiques traditionnelles.
Il élabora un programme destiné aux enfants et aux adolescents que la société destinait à la prison et à la rue, fondé sur des valeurs humanistes et optimistes, faites d’exigence et de respect mutuels. Makarenko est l’inspirateur de nombreuses pratiques pédagogiques actuelles dont les conseils de classe, le travail en groupe, la pédagogie par projet…

Bienvenue à Makarenko

Claire Simon avait le projet de filmer les récréations d’une école primaire. Très vite, elle comprit que son travail ne se limiterait pas à la cour comme par le passé mais s’attacherait à montrer des temps d’apprentissage dans les classes.
Elle eut un coup de cœur pour Makarenko lors d’une séance de lecture précédée du choix d’un livre à la bibliothèque. Un quart d’heure silencieux où les élèves, en bougeant les lèvres ou non, s’approprient les mots d’un autre et construisent, chacun dans leur tête, un imaginaire.
Claire Simon montra les rushes des trois premières semaines de tournage pour obtenir les accords des professeurs (sauf une) et les autorisations des parents.

Photo du documentaire Apprendre.
Apprendre © Condor Films.

Filmer à hauteur d’enfants

Claire Simon est non seulement une penseuse et une passeuse du cinéma (elle enseigna 10 ans la réalisation à la Fémis) mais aussi une expérimentatrice de l’outil caméra.
Elle a tourné en argentique, en super 8 et 16, avec différentes caméras vidéo.
Pour Apprendre, elle choisit une Sony FX3 aussi petite qu’un appareil photo qu’elle tient à bout de bras contre sa taille pour que son film soit à hauteur d’enfants.
Si pour Récréations elle a capté seule l’image et le son qu’elle a post synchronisé, pour Apprendre elle s’est entourée d’un ingénieur du son, Pierre Bompy.
Travaillant toujours avec un casque, elle filme et entend simultanément pour être au plus près des enfants, de ce qu’ils ressentent, de ce qu’ils pensent.
Claire Simon saisit la beauté de leurs visages qui réfléchissent, cherchent, doutent, trouvent, rient, crient, s’émerveillent et celle de leurs corps qui accompagnent la recherche dans un dictionnaire, suivent le rythme d’une chanson, dessinent, font un relais dans la cour, singent la classe, se disputent, se réconcilient…

La grammaire cinématographique de la réalisatrice ne s’appuie pas sur un montage de champ/contre-champ mais sur des saynètes qui relèvent très souvent du plan séquence. Claire Simon pratique la « ciné-transe » inventée par Jean Rouch qui assujettit la technique aux mouvements corporels du cinéaste. Claire Simon-filmeuse ne zoome pas, elle se rapproche du filmé créant avec lui une connivence, une interaction.

Photo du documentaire Apprendre.
Apprendre © Condor Films.

Construire un film

Claire Simon a monté son film avec Luc Forveille avec qui elle travaille depuis quelques années.
Le matériau filmique et sonore sert à construire une histoire, un récit qui montre les apprentissages dans les classes, l’art et la manière d’enseignants très engagés, volontaires, patients, attelés à la tâche d’apprendre aux enfants, de les dissuader de se battre, de les initier à débattre, en un mot d’en faire de futurs citoyens.
Elle filme ce qui se passe dans la cour, qu’il s’agisse d’une scène de harcèlement, de jeux de balle ou d’une partie de football où les joueurs apprennent le fair-play.
La question des règles, du vivre ensemble où le dialogue et la résolution des conflits passent par la parole et la discussion et non par des réactions physiques brutales, sont aussi au cœur du film.

Deux séquences sont tournées à l’extérieur de l’école. Lors d’un carnaval, les enfants, parés de magnifiques masques d’animaux, défilent joyeusement dans un quartier de hauts immeubles dont une façade est ornée d’une fresque en hommage à Thomas Sankara (1949-1987), figure majeure du panafricanisme, du tiers-mondisme et féministe avant l’heure. Il changea le nom de la Haute-Volta en Burkina Faso (le pays de l’homme intègre).
Une autre séquence suit une sortie scolaire à Paris en bateau-mouche.
Très heureux de crier à chaque passage sous un pont, les bambins n’ont, semble-t-il, pas entendu parler de l’incendie de Notre-Dame que ce soit à la maison ou à l’école. Ou peut-être n’ont-ils pas retenu cet événement qui ne les a pas marqués.

Photo du documentaire Apprendre.
Apprendre © Condor Films.

Une troisième séquence, la visite des élèves de l’École alsacienne qui viennent de Paris, élargit le cadre.
Tandis que deux jeunes filles chantent en allemand Die Forelle (La truite) de Schubert, les enfants des deux écoles les accompagnent tant bien que mal. Puis, on impose à tous le silence pour écouter une jeune pianiste fort douée de l’École alsacienne interpréter une sonate de Chopin.
Cette séquence violente fait surgir des inégalités sociales, des cultures de classes sociales différentes, dont une, dominante, est légitime d’emblée.
Les Ivryen·nes prennent, en fin de film, une revanche symbolique en chantant en c(h)oeur avec énergie et bonheur un tube de Rihanna, Diamonds, où ils s’éclatent sur le rythme et les paroles du refrain : «We’re beautiful like diamonds in the sky… Shining bright like a diamond ».
À noter que les gamin·es de Makarenko chantent aussi Dommage de Bigflo & Oli, qui valorise la confiance en soi, le désir d’aller de l’avant, de ne pas subir.

Photo du documentaire Apprendre.
Apprendre © Condor Films.

Claire Simon montre « l’école élémentaire comme un bastion républicain, comme une fabrique du citoyen et de la cité ». Les professeurs sont des « civilisateurs ». À l’école et à Makarenko tout particulièrement, comme le dit la réalisatrice :

« … on est au cœur du social et de sa construction. Il s’agit du lieu où les enfants comprennent qu’ils ont une place à la fois individuelle et collective. Ils ont une idée très forte de ce qu’est un groupe, donc de la société. »

Claire Simon

Isabelle Grimaud

Bande annonce

Rappel

Apprendre – Réalisation : Claire Simon – 2024 – 1 h 45 min – couleur – Production : Les Films Hatari – Distribution : Condor Films

Publié le 28/01/2025 - CC BY-SA 4.0

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