Appartient au dossier : Comptes rendus du séminaire EMI en bibliothèques, Bpi (25 novembre 2019)

Séminaire EMI en bibliothèques : atelier « Intégrer l’EMI dans le projet d’établissement »
par Sophie Bobet (La Canopée Paris), Sylvie Bonnel( Bpi), Sophie Gimenez (BM Reims) et Sophie Pascal (Bnf)

Cet atelier a été animé par Sylvie Bonnel (Bpi). Y ont participé : Sophie Bobet (Canopée, Ville de Paris), Thierry Claerr (SLL), Sophie Gimenez (BM Reims), Mélanie Merienne (Valence-Romans Agglo), Sophie Pascal (BnF), Julia Morineau-Eboli (Enssib), et Annie Vuillermoz (BM Grenoble).

post-it pour l'atelier


L’EMI est-il un levier pour manager et mobiliser une équipe ?

L’EMI a un lien très fort avec l’actualité. Ainsi, après les attentats de 2015, l’EMI  a été placé au cœur des actions de médiation en bibliothèque.

La prise en compte de l’EMI dans les projets d’établissements,  les fiches de postes,  et les organigrammes

  • A  Valence,  ce sont des médiateurs numériques qui sont engagés dans le projet EMI. L’ensemble des bibliothèques du réseau a bénéficié d’une journée d’information sur l’EMI. L’EMI est uniquement traité du côté jeunesse alors qu’il concerne tous les publics. Il ne s’agit pas cependant d’un axe très précis du projet d’établissement pour le moment, mais d’une direction valorisée. EMI et EAC ne sont pas clairement énoncés dans les fiches de postes et s’ajoutent aux autres missions.On parle parfois de référent EMI.Une formalisation est nécessaire pour valoriser la coordination et le travail d’équipe que nécessitent la mise en oeuvre des actions EMI, en attribuant précisément cette mission à un ou plusieurs collègues.
  •  A la Ville de Paris (médiathèque de la Canopée),  les actions EMI demeurent occasionnelles. Les écoles n’ont pas sollicité les bibliothèques pour des actions EMI. Notre mission se porte davantage sur le public adulte. L’engagement citoyen et le lien à l’actualité sont au cœur du projet (conférences « les jeudis de l’actualité »). Le blog professionnel permet de mettre en ligne les retours d’expérience. Ainsi,  « goûter philo » peut entrer dans l’EMI. L’attention particulière portée à la sélection des sources, au niveau de l’accueil, de l’orientation ou de l’information bibliographique est évidemment essentielle. 
  • A la BnF, l’EMI est un axe spécifique intégré à l’EAC depuis 2012 et l’exposition consacrée à l’histoire de la Presse,.  Après les attentats de 2015 des actions diverses ont été initiées : formation des enseignants, plan de formation académique aux métiers de la Presse en lien étroit avec le CLEMI (thématique sur trois ans). En 2018, des actions ont été proposées autour de la « fausse nouvelle », avec une journée d’étude et deux ateliers (le premier en recherche documentaire, le second consacré à la fausse nouvelle). L’EMI est souvent un prétexte pour valoriser la diversité des collections des départements de la BnF.  En cela, elle est donc un levier.
  • Pour Reims et Grenoble, l’action EMI est basée sur le volontariat et n’apparaît pas (encore) dans les fiches de poste. Dans ces deux villes, PCSES/projet d’établissement sont en en phase d’élaboration, et l’EMI/EAC fait partie des axes forts privilégiés. Cela permettra de les prendre en compte au quotidien et de les rattacher à une volonté politique forte et affirmée. Le projet d’établissement/PCSES peut donc être un levier pour mobiliser les équipes puisqu’il relie la bibliothèque à des enjeux sociétaux dans lesquels peut s’inscrire l’EMI.

Les freins  à la mobilisation des équipes sur les actions d’EMI

Face  à l’Emi,  les bibliothécaires ne se sentent pas légitimes et sont réticents à la perspective de passer du positionnement traditionnel de prescripteur (en lien avec la pluralité des sources) à un rôle plus proche de celui de formateur/enseignant car aujourd’hui il faut composer avec une information non validée. Cela repose fondamentalement la question des missions des bibliothécaires. Le mot « éducation »  suscite encore une certaine crainte chez les bibliothécaires : la dimension éducative de nos actions est pourtant indéniable.
Peut-être est-ce une question de temps : l’EMI finira par faire partie intégrante du travail de tous les bibliothécaires et sera probablement intégrée progressivement, comme le numérique l’a été. Afin qu’un dispositif viable se mette en place, il  faut réussir à faire comprendre que c’est un prérequis à la médiation des connaissances. 
De plus, les activités liées à l’EMI sont très chronophages. Elles nécessitent des temps de préparation importants,  qui s’ajoutent ou se substituent aux autres actions. Comme  l’EMI n’est pas toujours intégrée dans les fiches de postes ou les projets d’établissement, c’est un temps de travail peu reconnu. Cela pose des difficultés à ceux qui s’y impliquent aujourd’hui. Parallèlement à ce raisonnement,  on peut aussi considérer qu’à terme l’EMI ne devrait pas spécifiquement figurer dans les fiches de postes puisqu’elle fait partie intégrante du travail de base de tous les bibliothécaires quel que soit le poste occupé.

Recrutement et formation

Il y a un enjeu fort de légitimation de l’EMI. Ne faudrait-il pas parler de l’ « EMIB » (éducation à l’information en bibliothèque) pour bien asseoir le positionnement du bibliothécaire sur ces questions ? En effet, l’EMI du bibliothécaire est nécessairement différente de l’EMI du journaliste ou de l’animateur. L’ADN de l’EMI en bibliothèque repose sur la monstration des collections et la transmission. Ne faudrait-il pas intégrer l’EMI dans les programmes de concours et dans le référentiel des métiers des bibliothèques ?
La question de la formation se pose de manière récurrente : l’EMI est traitée dans le cadre de la formation continue ou dans des formations  conçues en intra dans les établissements. Comment l’intégrer dans la formation initiale ? L’EMI devrait constituer un socle et être réinjectée dans toutes les dimensions de la formation et non dans un module spécifique. Actuellement, elle est présente dans les formations initiales type DUT, au dessin de presse, à l’animation d’une web radio (cf actions du CLEMI), etc. Il faut arrêter de « sensibiliser » à l’EMI mais adopter une posture proactive : les institutions de formation doivent évoluer et adopter une démarche globale de légitimation.

Comment intégrer l’EMI aux actions déjà existantes ?

Les bibliothécaires « font de l’EMI sans le savoir » (sciences, philosophie, technologie…). Il faut associer systématiquement l’EMI aux actions déjà existantes. 
Si les actions EMI sont souvent mises en place en lien avec l’événementiel et l’action culturelle, l’EMI touche en réalité toutes les dimensions des missions des bibliothèques :

  • L’accueil : sélection des sources, renseignement bibliographique, aide à la recherche documentaire. Les services de questions/réponses (par exemple,  Eurekoi ou Sindbad) en sont un aspect, puisqu’ils montrent que public est attaché à la fiabilité des réponses apportées et la confiance des usagers dans les bibliothécaires.
  • Les collections :

-Politique documentaire : à la médiathèque de la Canopée, la politique documentaire est axée sur l’actualité et permet de construire les actions EMI. La programmation culturelle comporte en fil rouge l’engagement citoyen.
-Valorisation : à la BnF, il existe des dossiers de presse, des sources diverses (estampe, INA…), sur Gallica, avec une pluralité de collections : presse, ressources numériques, philosophie, etc. 
Cela devrait concerner tout chargé de collections, pour son travail quotidien de valorisation.
L’EMI n’est pas qu’une question de médiation numérique : ce qui est en jeu, c’est la diversité des sources, de l’information, des points de vue, bref la pluralité qui constitue l’identité des bibliothèques depuis toujours. Le risque serait de se limiter à la médiation numérique. 

  • Publics : loin de concerner uniquement les publics scolaires, il faut souligner la diversité des publics (scolaire, adultes, séniors mais aussi petite enfance, parents, professeurs…) puisque l’EMI concerne l’ensemble des citoyens. Concernant l’accueil de scolaires, la difficulté est finalement plus de toucher les parents que les enfants eux-mêmes, qui sont un public captif. 

Comment convaincre les décideurs et les partenaires potentiels ?

Du côté des décideurs :

L’EMI pourrait/devrait être en lien avec les objectifs de territoire, cependant on constate que c’est moins souvent l’expression d’un projet politique qu’une réponse ponctuelle à une demande. On peut avoir à convaincre les décideurs de la pertinence à travailler sur ce sujet, sauf quand l’actualité nous y amène. Les dimensions de citoyenneté et d’inclusion numérique peuvent être des leviers, comme c’est le cas à Reims ou Grenoble. Dans les quartiers politiques de la Ville et le milieu rural, les bibliothèques sont souvent un des rares équipements culturels ouverts.
La visibilité constitue un enjeu fondamental : il faut nécessairement travailler la communication (en interne et à l’extérieur, en utilisant les réseaux sociaux) pour expliquer ce que l’on fait et valoriser les actions entreprises : journées d’étude, publications professionnelles.
L’EMI peut ne pas coûter très cher ! Les moyens matériels nécessaires peuvent être légers, même si cela dépend de la taille de la commune (ordinateurs, salle équipée, caméra…), et il existe des dispositifs d’accompagnement et de financement (résidences, programme BNR, etc.).

Du côté des partenaires :

  • Journalistes : se pose la question de la légitimité des bibliothécaires aux yeux des journalistes. Comment les convaincre que nous sommes des professionnels de l’information ? Les citoyens reconnaissent la bibliothèque comme un lieu de source fiable, avec une dimension d’expertise. Par ailleurs, un travail de co-construction avec les journalistes est indispensable pour animer un atelier EMI.
  • Enseignants : le partenaire doit être engagé dans la durée, il doit être un partenaire acteur (ex: manuel d’auto-défense intellectuelle contre le complot, terrorisme…). 
  • Les bibliothèques doivent réinvestir les médias. Ainsi, à Valence, il existe une émission de radio locale avec de nombreuses chroniques de bibliothécaires.
  • Partenaires du champ social, du type maison des habitants (Grenoble). Les bibliothécaires bénéficient d’un capital confiance, notamment par rapport à l’accès à l’écrit. Tout doit reposer sur un partage des compétences.

La question cruciale de l’évaluation :

C’est un projet de territoire, sur le temps long, avec un effet domino depuis les enseignants en passant par les enfants pour arriver aux parents.
Si on sait évaluer le quantitatif, le qualitatif reste plus délicat à analyser.

Conclusion :

Tant que les décideurs n’intègrent pas l’EMI dans les priorités, les bibliothèques répondent à des demandes ponctuelles. Ce n’est que lorsque l’EMI sera intégrée en tant que projet politique qu’elle pourra être prise en compte dans les organigrammes, les fiches de poste, la formation initiale et la conscience des bibliothécaires de l’évolution de leurs missions.
L’ambition serait d’intégrer l’EMI aux missions fondamentales de tous les bibliothécaires. Si la bibliothèque n’est pas productrice de sources, elle doit les proposer dans toute leur diversité et participe ainsi à  l’écosystème de l’information. Il y a nécessité à reformuler ce qu’est l’EMI en bibliothèque, en faisant le lien avec la médiation des connaissances que les bibliothèques assurent depuis longtemps, pour éviter de faire de l’EMI une activité satellite.

Publié le 12/06/2020 - CC BY-SA 4.0

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