Ce n’est qu’un au revoir (suivi d’)Un pincement au cœur
Un double programme de Guillaume Brac

Sortie en salles le mercredi 2 avril 2025.

Ce n’est qu’un au revoir

Les amitiés de lycée peuvent-elles durer toute la vie ? Une chose est sûre, dans peu de temps, Aurore, Nour, Jeanne, Diane et les autres diront adieu à leur chambre d’internat, aux baignades dans la Drôme, aux fêtes dans la montagne. Louison coupera ses dreads et la petite famille éclatera. Pour la plupart, ce n’est pas la première fois et ça fait encore plus mal.

Un pincement au cœur

Le cœur pince à Hénin-Beaumont en ce début d’été. Linda, 15 ans, va déménager ; Irina, sa meilleure amie, a bien du mal à l’accepter.

Photo du documentaire Ce n'est qu'un au revoir
Ce n’est qu’un au revoir, Louison et Nour © Condor Films

Guillaume Brac, dans l’écume de la Nouvelle Vague

Guillaume Brac navigue depuis des années avec une facilité déconcertante entre fictions et documentaires, courts, moyens et longs-métrages. Il s’est fait remarquer dès ses premiers films autour de la solitude et de la perte du sentiment amoureux. Le Naufragé (2009) et Un monde sans femmes (2011) révèlent à leurs sorties le caractère solitaire et mélancolique, mais aussi romantique et rohmerien, de Vincent Macaigne encore peu connu du cinéma français.

Célébré pour le documentaire L’Île au trésor (2018), qui donnait à voir les activités estivales d’une base de loisirs de la région parisienne et pour ses suites fictionnelles, Contes de juillet (2018) et À l’abordage (2021), Guillaume Brac ne s’est jamais caché de s’être inspiré de la Nouvelle vague. Il a pleinement revendiqué cet héritage en citant Conte d’été (1996) de Rohmer, en le mettant en miroir avec Contes de juillet. Comme ses prédécesseur·euses, le réalisateur a toujours aimé filmer à l’extérieur et donner à voir le plaisir du relâchement des corps, notamment lors de la saison estivale. Guillaume Brac dépeint dans Un monde sans femmes, toujours à la manière d’un Rohmer façon Le Genou de Claire (1970), les non-dits, les désirs, les petits riens, les sourires gênés qui constituent les relations amoureuses naissantes (ou vouées à l’échec) entre les femmes et les hommes. À travers la gaucherie de ses personnages, il parvient à aborder leur intériorité et leurs sentiments. Au-delà de Rohmer se cache aussi l’influence de Jacques Rozier. Ainsi, le solitaire Vincent Macaigne d’Un monde sans femmes n’est pas sans rappeler le merveilleux Bernard Menez de Du côté d’Orouët (1969), à mi-chemin entre le clown, triste et maladroit, et le séducteur accidentel.

Photo du documentaire Un pincement au cœur
Un pincement au cœur, Irina, Linda et Ornella © Condor Films

Filmer les jeunes filles en pleurs

Pour ce nouveau programme rassemblant deux moyens métrages, Guillaume Brac nous raconte avec une grande délicatesse la fin des amitiés adolescentes en s’attachant tout particulièrement à des parcours de lycéennes. L’été approche, amorçant la fin d’une époque. Pour les unes, la dernière année d’internat et pour les autres, un changement de lycée dû à un déménagement. Guillaume Brac filme avec pudeur la déchirure de la séparation amicale. Le lycée est une période charnière et certaines des adolescentes filmées s’accrochent à l’idée qu’elles ne se quitteront jamais. Des adultes restent lié·es avec leurs ami·es du lycée, pourquoi pas elles ? Mais toutes ne croient pas en ce rêve d’enfant et certaines se prémunissent contre la tristesse de la perte par l’ironie et la distance, voire même par la colère et le rejet de leurs amies, si chères à leurs cœurs.

Deux jeunesses face à face

Par la force de la juxtaposition, les films donnent à voir en miroir deux jeunesses que tout semble opposer. D’un côté, il y a les Drômois·es babas cool de Ce n’est qu’un au revoir, vivant de danse, d’amour et d’eau fraîche. Habillé·es en sarouel, couvert·es de piercings, elles et ils refont le monde près de la rivière et dansent dans leurs chambres ou dans les champs devant des sound systems. Ces adolescents représentent a priori un continuum des figures de la jeunesse insouciante des années 60/70.

En face, Linda et Irina vivent dans un cadre social plus contraint, celui des paysages du bassin minier du nord de la France, entre les terrils d’Hénin-Beaumont. Irina est l’aînée d’une fratrie de sept enfants, fratrie menée par une mère célibataire. Chez Linda, la mère ne travaille pas et le père est aux abonnés absents. Les deux jeunes filles, jeans troués et longs cheveux lisses, sont excitées par l’avenir, semblant présenter de nouvelles promesses, notamment le départ de leurs familles. Elles se projettent dans des métiers passion, ceux du soin et de la santé et essaient d’éviter de penser aux garçons.

À différents destins, émotions similaires. Dans les deux films, les filles sont tristes de quitter leurs amies, premier investissement émotionnel en dehors de leurs familles, et de couper les liens de sororité extrêmement forts qu’elles sont parvenues à tisser en dehors du noyau familial. Ces jeunes filles que tout semble opposer se retrouvent entre les deux films dans le souffle perdu d’une jeunesse qui n’a pas l’air si insouciante et qui demeure bien au contraire très au fait de ses difficultés sociales et politiques.

Photo du documentaire Ce n'est qu'un au revoir
Ce n’est qu’un au revoir, Diane © Condor Films

Une jeunesse soucieuse et consciente de ses défis

Ces deux films en face à face questionnent la jeunesse française, bien que les moyens métrages de Brac ne prétendent pas à une visée sociologique. Ces adolescent·es nous paraissent bien plus tourmenté·es qu’elles et ils ne devraient l’être et plus conscient·es que jamais de leurs fragilités. Devant la caméra, ce sont souvent des discussions ou témoignages philosophiques qui ont lieu sur la vie, le futur, mais aussi la vieillesse de l’âme, la dépression et la mort.

En quelques plans, ces jeunes filles racontent leurs solitudes, leurs peurs et leurs rêves et Guillaume Brac vise en plein cœur. Les situations familiales complexes se font finalement écho entre les lieux et les films. Où sont passés les hommes qui devaient remplacer les pères absents du 20e siècle ? Pourquoi le masculin est-il toujours perçu comme une source de jugement ou de menace ? Comment réagir face à des parents qui n’arrivent pas à assumer leurs rôles ? Comment s’extirper de son milieu social et avoir envie de plonger dans le monde si l’on est seul·e et sans ressources pour sauver des êtres vivants ?

Entre un système éducatif inégalitaire, les problèmes à la maison et l’environnement, les causes à défendre et les luttes à mener sont nombreuses. Conscient·es de leurs propres limites comme de l’atavisme entre les générations, ces adolescent·es nous parlent ouvertement de parentalité, de psychanalyse ou d’acheter une vallée pour y vivre en dehors de la société. Dans une éternelle jeunesse ?

Nostalgie de la jeunesse

Le vague à l’âme, avec François Hardy dans les oreilles, et la nostalgie d’un temps qui paraît lointain mais reste en chacun comme l’une des périodes les plus marquantes de sa vie surgissent avec ce doux programme. La délicatesse a touché la caméra de Guillaume Brac, qui filme avec un brin de mise en scène les tourments comme les premiers émois amoureux. Entre Nour, adolescente cynique et rebelle et Louison, grand dreadeux chevalier servant mais aussi entre Irina et Naël, son prétendant qui l’attend à la sortie du lycée pour lui vanter ses vidéos TikTok, Rohmer n’est jamais loin. Mais contrairement aux jeunes filles des années 60, les adolescentes sont filmées avec leurs singularités et leurs sensibilités et non pas comme de simples corps séduisant le regard masculin. Chacune joue avec le film et nous invite dans une danse, complice, qu’elle soit sur TikTok ou sur Les hommes que j’aime de La Rue kétanou (2002) comme si le temps n’avançait plus ; ça y est, on a de nouveau dix-sept ans et on n’est plus sérieux.

Marina Mis

Bande annonce

Rappel

Ce n’est qu’un au revoir, suivi d’Un pincement au cœur – Réalisation : Guillaume Brac – 2024 – 1 h 03 min et 38 min – Production :  Bathysphere Productions – Distribution : Condor Films

Publié le 01/04/2025 - CC BY-SA 4.0

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