Château Rouge
d’Hélène Milano

Sortie en salles le mercredi 22 janvier.

Château Rouge nous plonge au cœur du collège George Clémenceau, un établissement classé REP + (Réseau d’Éducation Prioritaire), et suit une poignée d’élèves de troisième qui s’apprêtent à choisir leur orientation et à quitter le collège. Comme l’indique déjà le titre, au-delà de l’école se dessinent les frontières de ce quartier du 18ème arrondissement de Paris, toutes ses problématiques sociales et les enjeux qui touchent ses habitant·e·s.

Photo du documentaire Château Rouge.
Château Rouge © Dean Medias.

La réalisatrice, Hélène Milano, continue de suivre le fil rouge de l’adolescence qui traverse sa filmographie. Cette comédienne et cinéaste, par une pratique d’ateliers de théâtre dans des quartiers populaires de Marseille, a longuement côtoyé ces jeunes sur qui on pose trop souvent un jugement préconçu et caricatural. Sa volonté de leur donner un espace de confiance pour exprimer leurs désirs, leurs craintes et leurs doutes transparaît très clairement dans ce documentaire.

En grandissant, on oublie trop souvent le tumulte des émotions de l’adolescence, cette période charnière où l’on n’est plus tout à fait enfant, et pas encore adulte. Dans un atelier de philosophie, un élève s’exprime : « J’ai un peu de regret de grandir, mais je me demande ce que ça fait d’être grand ». Différentes temporalités se croisent ainsi dans le film : aussi bien à l’échelle de la mise en scène, en alternant des séquences de cinéma direct – dans les cours, pendant la récré, en permanence, dans les rendez-vous avec les parents ou les adultes de l’établissement – et des séquences suspendues où individuellement, ces élèves que l’on voit grandir au cours de l’année scolaire nous confient leurs inquiétudes, les injonctions qui pèsent déjà sur elleux. La cinéaste oscille entre ces dispositifs, comme ces jeunes qui nous donnent à voir aussi bien toute l’innocence de cet âge que la clairvoyance étonnante dont iels peuvent déjà faire preuve sur ce qui se joue là, pendant cette année scolaire.

Le film s’ouvre sur l’entrée du collège : le personnel de l’établissement presse les retardataires qui bavardent devant les grilles. Il se clôt sur les premiers examens et les affectations qui suivent, les au revoir entre le corps enseignant, l’équipe de la vie scolaire, la principale, et ces élèves qui quittent cet établissement qui, pour certain·e·s, les a vu évoluer au cours de ces quatre années fondatrices.

Photo du documentaire Château Rouge.
Château Rouge © Dean Medias.

Si le film dresse principalement le portrait de cette jeunesse, incarnée par Bilel, Lêna, Samy, Nissi, Marwa, Kamel et d’autres, il souligne par ailleurs l’engagement sans faille des professeur·e·s, de l’infirmière, des assistants d’éducation, du conseiller principal d’éducation, de la conseillère d’orientation, qui remplissent parfois bien plus que le simple rôle assigné par l’Éducation nationale. Même s’il y a bien évidemment des frictions (nombreuses, d’ailleurs), les adultes sont aussi les confident·e·s, les supporters, parfois des repères indispensables pour des enfants laissés en autonomie et parfois en dérive. Ils connaissent les situations familiales de chacun, parfois les parcours d’exil, les difficultés de logement, suivent attentivement les retards et luttent pour parer à l’absentéisme; et ils se souviennent des aspirations de ces jeunes confiées lors de discussions. Alors même s’iels sont nombreux·ses à ne pas aimer l’école, à ne pas comprendre – sûrement à raison – la valorisation de « l’intelligence » scolaire, d’un certain apprentissage, les élèves bénéficient d’un lieu où faire leurs armes, où les deuxièmes (et même troisièmes, et quatrièmes…) chances leur sont offertes, dans l’espoir de les sauver d’un déterminisme social écrasant.

Cependant personne n’est dupe, ni Hélène Milano, ni les adultes, et peut-être surtout les élèves : le système joue contre elleux. Samy, avec ses mots, montre à quel point ils en sont conscients :

« On est un peu ceux qu’on utilise, en fait. C’est-à-dire on nous utilise pour faire fonctionner l’économie, après ça recommence, ça tourne en rond, et ça s’arrête jamais jusqu’à la mort, ou en tout cas jusqu’à la retraite. Donc ils nous disent ce qu’on doit faire et on le fait, en fait. On n’a pas trop le choix. Si on nous avait laissé le choix, je pense pas qu’on aurait fait ça. C’est comme s’ils nous avaient éteints, ils avaient éteint notre imagination avec ce système. Ça veut dire : c’est bon, on peut plus penser à autre chose ou à une autre vie, on est concentré que sur cette vie. Parce que moi, je sais pas ce que je vais faire comme travail dans dix ans. Je sais pas si ça me fait rêver. Donc on verra, on verra quand ça va se produire. »

Photo du documentaire Château Rouge.
Château Rouge © Dean Medias.

Parmi tous·tes les protagonistes, la majorité n’aura pas accès au lycée général, qui à Paris est lui-même clairement hiérarchisé, puisque tous les établissements n’ont pas le même niveau. Alors qu’ils et elles formulent très clairement ne pas réellement se connaître – et pensent d’ailleurs naïvement que cette grande question existentielle sera bientôt résolue – on les oriente, faute de mieux, vers des formations plus accessibles, mais qui déjà ne les animent pas. On essaye de créer de l’enthousiasme tout en avortant leurs rêves, parce que leurs aspirations ne correspondent pas au moule étroit de l’école.

Alors tout en mettant en lumière le plafond de verre qui se dresse au-dessus d’elleux et le système étriqué dans lequel tous·tes les protagonistes, petit·e·s et grand·e·s, s’inscrivent, Hélène Milano réussit joliment à redonner du pouvoir à ces jeunes de Château Rouge en portant leurs voix, leurs visages et leurs pensées.

Blanche Devillers

Bande annonce

Rappel

Château Rouge – Réalisation : Hélène Milano – 2024 – 1 h 47 – Production : TS Productions – Distribution : Dean Medias

Publié le 21/01/2025 - CC BY-SA 4.0

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