Benjamin Cagan, chef de service à la Halte Humanitaire Diderot, un accueil de jour parisien dédié aux mineurs étrangers non accompagnés, donne des clés de compréhension pour mieux appréhender et accueillir ce public.
Pouvez-vous présenter les Haltes Humanitaires ?
Les Haltes Humanitaires sont des accueils de jour financés par la ville de Paris et gérés par la Fondation de l’Armée du Salut. La première Halte, située dans l’ancienne mairie du premier arrondissement, était initialement destinée aux demandeurs d’asile primo arrivants et aux réfugiés. Mais depuis plus de deux ans, elle accueille aussi des mineurs non accompagnés, dont la majeure partie est en procédure de recours. En juillet 2024, une deuxième Halte a ouvert boulevard Diderot uniquement dédiée à l’accueil des mineurs non accompagnés.
Nos équipes sont composées d’agents d’accueil et de logistique, et de médiateurs. Il n’y a pas de travailleurs sociaux, ni de personnels médicaux. Des partenaires assurent des permanences médicales, sociales, juridiques, des cours de français et des ateliers artistiques, créatifs et sportifs.
Quelle est la situation particulière des mineurs en recours ?
À leur arrivée sur le territoire français, ces jeunes passent une évaluation pour que leur minorité soit reconnue et qu’ils puissent bénéficier de la prise en charge de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). Cette compétence relève du Département. À l’issue de leur évaluation, ceux dont la minorité n’a pas été reconnue peuvent contester la décision devant le juge pour enfant. Pendant le temps de cette procédure, ils ne sont considérés ni comme majeurs, ni comme mineurs aux yeux des institutions et ne bénéficient d’aucun dispositif d’aide. La plupart du temps, ils vivent dans la rue, accèdent difficilement à l’aide alimentaire, n’ont pas accès à l’école ni aux soins. Cette période d’errance peut durer un an, parfois plus à Paris.
Quels sont les besoins que vous avez identifiés chez ces jeunes ?
L’urgence pour eux, c’est d’aller à l’école. Nous avons identifié ce besoin très rapidement en les accueillant. C’est aussi ce qui ressort de manière flagrante de l’enquête que nous avons menée avec Action Contre la Faim et d’autres associations.
Ensuite, viennent bien sûr l’hébergement et la reconnaissance de minorité. Il y a aussi les besoins primaires : accéder à l’hygiène, se mettre à l’abri, charger les téléphones.
Nous avons également identifié des besoins médicaux, notamment en santé mentale. Beaucoup de jeunes ne vont pas bien et ont du mal à le verbaliser. Souvent, ils ne savent pas que le soin psychologique est possible. Les sensibiliser sur ce sujet est un enjeu de manière à ce qu’ils rencontrent progressivement des partenaires spécialisés sur les questions de santé mentale.
Enfin, il y a un grand besoin d’activités sociales, culturelles et artistiques. Les jeunes ont besoin de s’occuper, car les journées en errance sont très longues. Sur le long terme, l’inactivité est destructrice et contribue à la dégradation de leur image et de leur état psychologique.
En quoi les bibliothèques sont-elles des lieux importants pour ce public ?
Spontanément, les jeunes ne se rendent pas en bibliothèque parce que ce sont des bibliothèques, mais plutôt parce que ce sont des lieux ouverts. Ils vont s’y mettre au chaud et charger leurs téléphones. Mais rapidement, ils vont pouvoir se saisir des multiples ressources qu’offrent les bibliothèques : les livres, les ordinateurs, mais aussi les médiations comme les ateliers en langue, en informatique ou les ateliers créatifs. C’est un public très volontaire et désireux d’apprendre.
Comment les bibliothécaires peuvent-ils·elles se préparer pour bien les accueillir ?
Je pense que le point de départ, c’est de connaître le public. Sans devenir expert pour autant, comprendre leur parcours migratoire et juridique permet de comprendre à quel moment de leur démarche ils se situent. Rappelons qu’à la fin de leur procédure, la plupart seront très probablement reconnus mineurs, donc pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance et suivis par un éducateur, scolarisés et hébergés. Avoir ces éléments en tête permet de savoir ce qu’ils attendent et comment nous pouvons leur être utiles. C’est très différent d’un public demandeur d’asile qui, une fois l’asile obtenu, devra trouver un travail, un logement et faire toutes les démarches administratives de droit commun.
Par ailleurs, je pense qu’il peut être intéressant d’avoir des retours d’expériences des structures d’accueil ou d’acteurs associatifs, et de prendre connaissance de ce qui a déjà été réalisé avec et pour ce public. Cela permet de faire tomber certains préjugés et d’apaiser les craintes, car ces jeunes sont en réalité de grands adolescents, respectueux et à l’écoute.
Quelles sont les autres structures fréquentées par ces jeunes à Paris ?
Médecins Sans Frontières (MSF) a ouvert un centre à Pantin spécialisée dans l’accueil de ce public. Depuis quelques mois, ils accueillent uniquement des jeunes filles mineures. Très récemment, Médecins du Monde a ouvert un programme spécial pour les mineurs non accompagnés. De nombreuses associations qui interviennent auprès des publics exilés travaillent avec le public des mineurs. Par ailleurs, il existe de nombreuses associations qui interviennent sur différents volets et qui connaissent parfaitement ce public comme Maât qui mène des projets culturels et artistiques ou 4A, qui fait de l’art thérapie. Il en existe beaucoup d’autres.
Enfin, des associations et collectifs regroupant de nombreux bénévoles sont très actifs et connaissent parfaitement ce public : Utopia 56, le collectif des Jeunes du parc de Belleville, les Midis du MIE, la TIMMY.
À Paris, les jeunes fréquentent également les Espaces Solidarité Insertion (ESI), les accueils de jours inconditionnels, même si ces lieux ne sont pas toujours adaptés.
La situation est-elle la même dans d’autres villes en France ?
Oui, à Toulouse, Lyon, Marseille, Rennes, de nombreux mineurs connaissent une situation similaire, c’est un sujet qui concerne l’ensemble du territoire.
Publié le 13/01/2025
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