Direct Action
de Guillaume Cailleau et Ben Russell

Sortie en salles le mercredi 20 novembre 2024.

En janvier 2018, l’abandon de la construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes met un terme au combat mené pendant des années par l’une des plus importantes communautés d’activistes de France. En immersion dans la ZAD entre 2022 et 2023, Guillaume Cailleau et Ben Russell rendent compte d’une société qui, après la lutte qui l’a réunie, esquisse à présent les contours d’un autre monde possible. Au même moment, à Sainte-Soline, les Soulèvements de la Terre s’opposent à un projet de privatisation de l’eau et se heurtent, une fois encore, à la violence de l’État.

Photo du documentaire Direct Action.
Direct Action © Shellac Distribution.

Les ZAD en France

Apparues en France en 2012, les ZAD – ou « Zones À Défendre » – représentent un mouvement citoyen contestataire visant à s’opposer à des grands projets d’aménagement tels que des autoroutes, des aéroports ou des lignes à grande vitesse. Le terme « ZAD » détourne l’expression administrative « Zone d’aménagement différé », désignant un terrain réservé pour y bâtir une infrastructure. Les ZAD rassemblent des militants issus de profils variés : architectes, agriculteurs, écologistes, juristes, bricoleurs ou syndicalistes. Malgré leurs différences sociales et professionnelles, tous partagent une même opposition à des projets favorisant la logique de croissance économique, le productivisme et l’accès à l’emploi au détriment de l’environnement. 

Parmi les ZAD les plus célèbres et les plus actives figure celle de Notre-Dame-des-Landes, située près de Nantes en Loire-Atlantique. Ce site a été le théâtre d’une lutte contre le projet de construction de l’aéroport du Grand Ouest, porté par Jean-Marc Ayrault, Premier ministre sous François Hollande (2012-2014) et ancien maire de Nantes. L’objectif de ce projet remontant déjà aux années 1960 était de désengorger l’aéroport Nantes-Atlantique. Relancé dans les années 2000, le projet est finalement abandonné en 2018 sous le gouvernement d’Édouard Philippe après de nombreuses années d’intense mobilisation.

Les ZAD s’inspirent des mouvements de désobéissance civile des années 1970, comme l’opposition à l’extension du camp militaire du Larzac ou à la construction d’une centrale nucléaire à Plogoff en Bretagne. Cependant, la ZAD de Notre-Dame-des-Landes se distingue par l’escalade des tensions entre les militants et les forces de l’ordre. Si les opérations spéciales parviennent à déloger les « squatteurs », elles ne peuvent les empêcher de revenir le lendemain et la situation s’enlise. Près de 2 500 gendarmes et policiers sont mobilisés pour sécuriser la zone de siège mais la répression n’empêche pas le retour des zadistes. Cette situation divise les Français, entre ceux qui dénoncent la radicalisation des militants et leur supposée affiliation à des groupes dits « éco-terroristes » et ceux qui critiquent la violence policière déployée pour évacuer les zones occupées. 

Les tensions entre les militants et le gouvernement vont s’exacerber au fil des années. Le 25 octobre 2014, le militant Rémi Fraisse, 21 ans, perd la vie lors d’une intervention policière dans la ZAD de Sivens, dans le Tarn. En mars 2023, deux manifestants contre les mégabassines de Sainte-Soline sont grièvement blessés et plongés dans le coma après un assaut policier particulièrement violent, au cours duquel 6 000 projectiles sont lancés par les forces de l’ordre sur les manifestants (grenades…). Ces épisodes illustrent la montée des tensions et des violences policières à l’encontre des mouvements sociaux en France. Depuis Nuit debout, les Gilets jaunes ou la récente réforme du régime des retraites, la gestion de l’ordre public par l’État est devenue un sujet de débat au cœur de la société française.

Photo du documentaire Direct Action.
Direct Action © Shellac Distribution.

Tourner un film dans la ZAD

Direct Action est le fruit de l’immersion de deux cinéastes au sein de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes entre 2022 et 2023. Guillaume Cailleau est un artiste, cinéaste et producteur. Son travail explore des approches innovantes pour aborder les questions politiques et sociales. Ben Russell est artiste, commissaire et cinéaste. Son œuvre se situe à l’intersection de l’ethnographie et du psychédélisme (on se souviendra longtemps de River Rites ). Dans la ZAD, les journalistes sont souvent peu acceptés et mal accueillis car une guerre de l’image oppose militants et médias. Les réalisateurs ont dû montrer patte blanche afin de s’intégrer à la communauté locale. Pour gagner la confiance des habitants et obtenir leur accord pour être filmés, ils ont participé aux corvées collectives, à la vie quotidienne sur le lieu ainsi qu’aux moments de festivités. Ils ont vécu au rythme de la ZAD. 

Direct Action prend le temps de documenter les multiples initiatives visant à construire un monde plus « soutenable », illustrant la diversité des actions et des idéaux portés par les militants. Pour s’intégrer à la ZAD, les réalisateurs y ont séjourné une à deux semaines par mois pendant un an, afin de capter les nuances de cet engagement et rencontrer les membres de la dizaine de collectifs séjournant désormais sur le site. Le film montre l’émergence des Soulèvements de la Terre, collectif menacé de dissolution par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin en avril 2023 pour « provocation à des agissements violents à l’encontre des personnes et des biens » ; depuis, cette décision a été annulée par le Conseil d’État.

Photo du documentaire Direct Action.
Direct Action © Shellac Distribution.

Prendre le temps du réel

Le rythme de Direct Action s’oppose à l’économie capitaliste des flux tendus, où la multiplication des tâches et des écrans parsemés de montages rapides dictent la cadence de notre quotidien. À l’inverse, le film choisit de prendre son temps. Loin des rythmes incessants sur les réseaux sociaux, il invite le spectateur à s’immerger dans un temps suspendu, à contempler chaque plan, souvent fixe, comme une peinture où les personnages mènent leur existence propre. Cette approche du temps n’est pas anodine, elle s’inscrit comme une forme de résistance dans un monde saturé d’informations et de sollicitations. Le film semble nous inciter à retrouver une capacité de concentration, à réapprendre à nous attarder sur des choses simples, loin des tumultes médiatiques et politiques où une crise en remplace vite une autre. Par exemple, une scène qui présente la lecture d’un guide de défense des droits des militants se déroule sans coupure, dans une lenteur attentive. Le spectateur peut ainsi se concentrer sur chaque mot, chaque détail, chaque concept. Jusqu’à s’attacher au ton de la voix de l’oratrice, voire même d’observer ses mimiques, ses vêtements ou sa gestuelle. De la même manière, un concert punk est filmé face à la fosse, enregistrant les premiers balancements du public jusqu’au pogo général, dans une captation brute et immersive de l’énergie collective.

Le film accorde également une attention particulière aux gestes du quotidien, à la manière dont le travail se déploie dans l’espace. Par exemple, des menuisiers découpent des planches de bois dans une scierie : la chorégraphie des travailleurs, d’abord imperceptible, se construit progressivement, donnant au geste une forme presque narrative. L’effort, la précision, la manière dont chaque mouvement s’imbrique dans un ensemble créent une sorte de suspense, une attente. Le spectateur est invité à porter attention au rythme des gestes, à leur esthétique intrinsèque. Cette « chorégraphie du réel » se déploie tout au long du film, avec des scènes où des tâches simples comme la préparation de crêpes ou la découpe de pièces de bois à la hache prennent la forme de performances presque artistiques. Ainsi, le préparateur de crêpes danse seul devant ses crêpières, il calcule chacun de ses mouvements dans une précision d’horloger. Aussi, la découpe de bois génère un duo classique dans ce vaste opéra qui se joue au cœur de la ZAD. L’ordinaire se transforme en extraordinaire. Ces gestes, ces savoir-faire, incarnent l’union du corps et de l’esprit humain dans un retour aux fondamentaux et donc, à l’essentiel. Direct Action nous invite à ralentir et à retrouver du sens dans une temporalité plus tranquille. Cela dit, le film n’hésite pas à offrir des ruptures de rythme vertigineuses, comme lors des assauts de gendarmes à Sainte-Soline ou pendant le combat d’échecs en bullet au rythme effréné (moins de 3 minutes par joueur sur la totalité de la partie), créant des accélérations aussi intenses qu’imprévisibles.

Photo du documentaire Direct Action.
Direct Action © Shellac Distribution.

Une diversité d’histoires et de visages

Le film s’intéresse également à la diversité des corps, des visages, des voix et des actions qui composent la communauté de la ZAD. Loin de se limiter à une représentation unifiée, Direct Action explore la pluralité des individus, des générations, des histoires et des modes de vie. Ainsi, le spectateur peut observer un militant seul, en pleine réflexion, ou un groupe se consacrer à une action collective – comme déplacer un cheval de Troie ou enjamber un ruisseau. Les différences se révèlent dans la manière dont chaque individu porte ses protections, ajuste son masque, choisit sa parure pour affronter les forces de l’ordre. Certaines personnes sautent un fossé avec élégance et agilité, d’autres avec maladresse. 

La diversité de la ZAD est représentée dans toute sa richesse : toutes les générations, de l’enfance à la vieillesse, sont présentes. Chacun apporte sa touche, qu’il s’agisse de l’utiliser en cuisine, dans l’atelier, dehors dans la forêt ou sur le terrain de confrontation avec les policiers. Chacun sa force, celle du physique ou de l’esprit, du graphisme ou de la musique, de la menuiserie ou de la politique. À travers ces gestes, on devine des vies, des habitus, des luttes passées. On entend différentes langues, à la croisée des cultures et des parcours de vie. Ce qui se dessine, c’est un véritable vivre-ensemble, qui dépasse les contraintes de l’individualisme capitaliste et des logiques de consommation de la propriété, du plaisir et du chacun chez soi. À travers le prisme de la ZAD, le film propose de redéfinir ce qui constitue la communauté et la liberté. Si ce modèle de coexistence, fondé sur des principes collectifs et de partage, semble utopique dans notre société actuelle, Direct Action pousse à réfléchir sur la possibilité de vivre à l’écart des normes imposées par un système culturel et économique majoritaire.

Marina Mis

Bande annonce

Rappel

Direct Action – Réalisation : Guillaume Cailleau et Ben Russell – 2024 – 3 h 32 min – Production : Caskfilms, Volte Film – Distribution : Shellac.

Publié le 18/11/2024 - CC BY-SA 4.0

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