And the King Said : What a Fantastic Machine !
d'Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck

Sortie en salles le mercredi 23 octobre 2024.

Voyage à travers deux siècles de création d’images : des prémices de la photographie aux 45 milliards de caméras dispersées à travers le monde, aujourd’hui, What a Fantastic Machine ! a obtenu la mention spéciale Génération à la 73ème Berlinale et le Prix spécial du jury au Festival de Sundance en 2023.

« On devrait avoir un permis pour utiliser une caméra de la même manière que pour une arme. »

Ruben Östlund in The Guardian
Photo du documentaire What a Fantastic Machine !
What a Fantastic Machine © Singularis Films

Du court au long-métrage

What a Fantastic Machine ! (WAFM) est le premier long-métrage du duo de réalisateurs Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck. Les deux cinéastes travaillent ensemble depuis 2013 sous la bannière de Plattform Produktion, compagnie suédoise indépendante co-fondée par Erik Hemmendorff et Ruben Östlund, qui a remporté deux Palmes d’or à Cannes (The Square en 2017 et Sans filtre en 2022). Plattform Produktion fonctionne de manière collective. Les échanges d’idées entre collègues visent l’excellence et une sortie optimale de leurs films. Axel Danielson est partenaire de Plattform Produktion depuis 2010.

Le binôme Danielson-Van Aertryck s’est fait remarquer par des courts métrages talentueux, lauréats de nombreux prix dans des festivals : Berlinale, Cannes, Toronto, Aspen, Palm Springs, Sundance et Clermont-Ferrand.

Le Grand Plongeoir (2016), film dispositif utilisant le split screen (effet consistant à diviser l’écran en plusieurs parties) et des micros aux quatre coins du plongeoir de 10 mètres d’une piscine, se propose d’enregistrer les soliloques et d’observer les comportements de nageurs montés sur le plus haut plongeoir au moment de s’élancer, ou non, du bord, de faire le grand saut, de se faire confiance pour sauter dans le vide ou de rebrousser chemin, de céder à la peur et autres appréhensions. La réussite totale de ce court tient à son dispositif qui peut induire une kyrielle d’émotions chez le spectateur (de la compassion aux encouragements, en passant par le sourire et le souffle retenu) qui se reconnaît dans les réactions des nageurs ou se projette dans la situation. L’analyse comportementale sur le vif se mêle à une esthétique qui aboutit au sublime ralenti (hommage au génie de l’art vidéo Bill Viola) d’un saut périlleux arrière parfait accompagné par l’Hymne à la joie de L. Van  Beethoven.

Jobs for all ! (2021) utilise la musique comme tempo d’un riche matériau d’images d’archives filmées. Le Boléro de Maurice Ravel nous entraîne grâce à son crescendo dans un voyage à travers l’histoire moderne du travail humain de l’industrialisation à la mondialisation. La sociologie, l’économie, le politique se combinent et donnent en 14 minutes chrono un cruel démenti aux propos sur le travail d’Olof Palme (1927-1986), homme d’État socialiste réformiste suédois, deux fois 1er ministre, assassiné en 1986. Bien commun, catalyseur de l’émergence d’une meilleure société, construction collective d’un bénéfice partagé et de l’estime de soi, toutes ces valeurs que Palme associe au travail sont démenties par les images et les témoignages du film qui montrent le travail comme cause d’aliénation.

S’atteler à un long-métrage semble être dans la suite logique du cinéma de notre binôme de réalisateurs. Ce dernier opus s’articule autour de comportements humains générés par la fabrication toujours plus exponentielle d’images et le montage d’extraits de films et d’archives animées significatifs. Une voix off assumée par Maximilien Van Aertryck donne des éléments de repérages historiques et de compréhension des phénomènes économico-politico-sociologiques à l’œuvre. Mais, ne nous y trompons pas : WAFM n’est pas un film théorique rébarbatif mais un voyage en images, empreint de connaissances et de ludisme, concocté par deux anthropologues visuels.

WAFM : un projet pédagogique

Photo du documentaire What a Fantastic Machine !
What a Fantastic Machine © Singularis Films.

Axel et Maximilien sont engagés dans la MIL (Media and Information Literacy / Éducation aux médias et à l’information), programme soutenu par l’UNESCO qui vise l’analyse critique des informations, la navigation responsable sur le net et la confiance dans l’écosystème de l’information, des nouvelles technologies, des innovations numériques, de l’intelligence artificielle. La MIL permet de développer des compétences indispensables pour lutter contre la désinformation et les discours de haine qui prolifèrent sur le net. Depuis plus d’une décennie, Axel et Maximilien ont pour seul objectif « l’éducation à l’image ».

« Pendant dix ans nous avons collecté des images qui ont suscité la question du « pourquoi » cette fascination de l’humanité pour l’image. Nous vivons dans une société de l’image où la caméra est un prolongement de nos yeux. Ce phénomène, associé aux algorithmes d’aujourd’hui, constitue un cocktail explosif. »

Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck
Photo du documentaire What a Fantastic Machine !
What a Fantastic Machine © Singularis Films.

Il semble bien y avoir péril en la demeure. Éduquer à l’image, facette du développement de l’esprit critique, est un enjeu démocratique. L’analyse, la réflexion, la vérification des faits, la recherche des sources et leur confrontation permettent de dégoupiller les grenades que sont les fake news, les infox qui libèrent à la vitesse grand V leur explosif, sorte d’arme de mystification/manipulation massive des esprits. S’appuyer sur les images est le ressort de la lutte contre la désinformation. Le générique du film permet de distinguer deux types d’images : Images rights (droits d’auteurs, droit de la propriété intellectuelle soit plus de 160 références) et plus ou moins 160 autres références d’extraits sous licence CC BY 3.0, soit la licence Creative Commons Attribution 3.0 ( « CC BY 3.0 » est une licence du domaine public qui autorise la plupart des formes d’utilisation ou de réutilisation d’une œuvre sous licence, à condition que la source originale et la paternité soient dûment reconnues, et qu’aucune restriction supplémentaire ne soit imposée aux utilisateurs ultérieurs). Ainsi WAFM est un formidable creuset où s’entremêlent des images d’archives historiques et/ou en ligne avec des vidéos personnelles, des flux en direct, des photographies de presse, quelques extraits de films… De la première image fixe diffusée par Niepce en 1828 au life streaming des années 2020, le film nous immerge dans la culture visuelle, dont l’obsession fonde l’humanité avec de multiples conséquences sociales.

Méthodes et exemples

Photo du documentaire What a Fantastic Machine !
What a Fantastic Machine © Singularis Films.

Tels des orpailleurs en quête de pépites, notre duo de réalisateurs a collecté nombre de documents cocasses, parfois effrayants, tous significatifs de la relation de l’homme avec la caméra et des comportements que l’évolution de la technique génère. Pour répondre au projet pédagogique du film, la collection d’images glanées sur le net ou ailleurs a dû être organisée et contextualisée. Ainsi le travail de montage de Mikel Cee Karlsson (monteur de Sans filtre / Triangle of Sadness, 2ème Palme d’or d’Östlund en 2022) fut essentiel. La charpente du film s’est construite autour de deux voûtes : l’une historique (de 1828 à nos jours), l’autre plus associative pour que la narration demeure vivante, dynamique. Le montage, qui suit la chronologie, repose sur un bout à bout raisonné d’images auquel vient se greffer une voix off, celle d’un narrateur subjectif, qui donne des éléments historiques tout en embrayant sur des possibilités de réflexion et d’analyses du spectateur. Ainsi, se dégagent trois manières principales d’utiliser la caméra, « cette machine fantastique » : scientifique, lucrative et idéologique, voire propagandiste.

Photo du documentaire What a Fantastic Machine !
What a Fantastic Machine © Singularis Films.

Deux séquences sont éloquentes. La première montre Leni Riefenstahl, âgée, qui commente avec délectation et une autosatisfaction non dissimulée un extrait de film de propagande nazie, souriant même de la beauté, de l’équilibre, de la densité de ses images et des moyens techniques mis en œuvre pour les réaliser. Selon elle, « monter un discours politique est purement technique. » Visiblement, la dénazification de Riefenstahl ne s’est pas opérée. Grande sportive, elle filma les fonds marins après avoir été la cheville ouvrière consentante de la propagande nazie. La séquence suivante montre comment en 1945, les forces alliées témoins des atrocités perpétrées dans les camps de concentration sont face à un problème :

« Comment après avoir subi la propagande de guerre convaincre le monde de ce que nous avions vu ? »

Sidney Bernstein, producteur, 1984

« J’avais pour instructions de filmer tout ce qui prouvait que ceci avait bien eu lieu. Ce devait être une leçon pour l’humanité toute entière aussi bien que pour les Allemands à qui le film était destiné… On aurait donc une preuve à leur montrer. »

Peter Tanner, monteur, 1984

Faire des plans aussi longs que possible, des panoramiques pour écarter tout soupçon de trucage en passant des dignitaires aux ecclésiastiques, aux corps et aux cadavres, filmer celui qui filme… Toutes ces stratégies de l’établissement de preuves flagrantes n’ont pas empêché le négationnisme.

Le film montre l’émergence puis la toute-puissance de la télévision, vecteur de connaissances et machine à produire des désirs, de la consommation, de l’argent, de l’information à la chaîne. Au cynisme affiché et assumé de Ted Turner, créateur de CNN (Cable News Network) en 1980, se juxtaposent les déclarations de Patrick Le Lay (1942-2020) qui fut président de TF1 :

« Soyons réalistes : mon métier c’est d’aider Coca-Cola à vendre son produit. Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible c’est-à-dire de le divertir, de le détendre. Ce que nous vendons c’est du temps de cerveau disponible. »

Patrick Le Lay in Les dirigeants face au changement, 2004
Photo du documentaire What a Fantastic Machine !
What a Fantastic Machine © Singularis Films.

Internet, réseaux sociaux, ère des influenceurs et celui des life streamers : la course effrénée de la création de contenus s’est substituée à celle de la création d’images. Le développement de la technologie a changé notre rapport à la réalité. La caméra, machine fantastique peut aussi s’avérer être une machine infernale qui, jouant et manipulant nos affects, nous éloigne de la réflexion, de l’esprit critique.

Certains pourront penser que le panorama dressé par Axel et Maximilien manque de profondeur, reste à la surface des phénomènes et utilise les moyens qu’il entend critiquer. Pour ma part, je pense que ce film est virtuose non seulement par sa construction mais aussi par l’utilisation d’un grand nombre de morceaux musicaux qui, en symbiose avec les images, participent du dynamisme de la narration. Sa maestria ne repose pas sur un scrolling à la Tik Tok mais sur une quête, une stimulation intellectuelle proche de celle à l’œuvre dans l’installation vidéo de Christian Marclay The Clock (2010) qui étudie la perception et la notion du temps et explore la cinématique et le médium filmique. De même que The Clock, constitué de nombre d’extraits de films, stimule notre mémoire pour lui faire retrouver un titre, une référence, le nom d’un acteur… WAFM booste, aiguillonne notre esprit en faisant de chaque séquence un possible thème de réflexion pour le spectateur. WAFM stimule la curiosité intellectuelle, encourage, motive des possibilités de recherches, l’analyse plus profondément, incite à la lecture des images et de leurs codes, développe l’esprit critique et suscite même notre émerveillement face à la simplicité géniale de la camera obscura.

Isabelle Grimaud

Bande annonce

Rappel

And the King Said : What a Fantastic Machine ! – Réalisation : Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck – 2023 – 1h28mn – Production : Plattform Produktion – Distribution : Singularis films

Publié le 23/10/2024 - CC BY-SA 4.0

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