Les bibliothèques de Bordeaux sont un réseau de 11 bibliothèques réparties sur la métropole comprenant une bibliothèque centrale (Mériadeck), neuf bibliothèques de quartier, un bibliobus, un bibliambule (triporteur aménagé en kiosque ambulant), ce qui en fait un des plus grands réseaux de France, avec 50 000 abonné·es.

L’offre classique de prêts de livres, cd, dvd (1 million de documents)… est couplée à une offre multiple de services sur place (studio de répétition, jeux vidéo, ludothèque, filmothèque, méthodes de langue …) et des collections patrimoniales spécialisées sur les fonds d’archives des trois personnages littéraires de la région : Montaigne, Montesquieu et Mauriac. 

De nombreux ateliers sont proposés aux écoles, collèges et lycées et, tout au long de l’année, des actions culturelles sont organisées pour tous les publics (expositions, débats, festival « La Fabrique du citoyen », Le printemps des poètes, la Nuit des bibliothèques…)  

Une des actions, récemment mise en place, est particulièrement intéressante et innovante : l’arpentage.

L’arpentage en pratique

Tout d’abord que veut dire ce mot ? D’après le dictionnaire : « Arpenter, v.t. ; parcourir à grand pas ». Mais aussi : « L’arpentage est une méthode de lecture inventée au 19ème siècle par des collectifs ouvriers et redécouverte par des associations d’éducation populaire. Elle permet de s’approprier un livre a priori difficile, de dédramatiser le rapport à la lecture et à la compréhension d’ouvrages dits compliqués, et d’encourager chacun·e à exprimer son avis et ses sensations au sujet de ces ouvrages à travers une lecture partagée. »

Les bibliothèques de Bordeaux, en lien étroit avec l’Université Populaire de Bordeaux, ont donc eu l’idée de s’approprier cette technique de lecture collective et subjective pour préparer et animer leurs débats culturels et conférences, et plus précisément pour le cycle Parlons ! qui invite tout au long de l’année des scientifiques, historien·nes, sociologues, économistes, philosophes à partager leurs connaissances.

Concrètement, en amont des rencontres, le service de la coordination culturelle constitue des groupes d’arpenteurs. L’ouvrage choisi, par exemple Storytelling de Christian Salmon, est alors divisé en autant de parties que de participant·es, les pages sont arrachées puis distribuées. Chacun·e dispose d’un même temps de lecture individuelle et reçoit les mêmes consignes pour restituer sa partie au groupe, puis la restitution se fait dans l’ordre de pagination de l’ouvrage. Chaque arpenteur lit un extrait et le raconte à sa façon. Le compte-rendu de l’arpentage permet ensuite d’établir les questions qui seront posées lors de la rencontre. Ces arpentages sont animés par deux intervenants de l’Université Populaire de Bordeaux.

Ces séances sont ouvertes à toutes et à tous. Elles ont généralement lieu un samedi matin, dans une bibliothèque du réseau ou dans un lieu public, et durent environ 3 heures.

L’information est diffusée sur le site du réseau ou sur le programme mensuel « Bobi » et chacun s’inscrit en amont sur un fichier partagé. Par exemple, en janvier 2024, deux séances d’arpentage sont prévues pour préparer la venue de Ludivine Bantigny et de Serge Paugam.

Des arpentages sont également organisés en interne avec les bibliothécaires du réseau. Cela permet au personnel des bibliothèques de s’investir dans les projets culturels et d’apporter son savoir et sa pratique. 

La coordination culturelle a également innové en ajoutant un aspect festif à ces rencontres débats. En effet, le jour J, avant la rencontre, un apéro-débat mouvant est organisé dans le hall de la bibliothèque, l’idée étant d’allier convivialité et sujets à première vue difficiles. Sur la plupart des rencontres, un flash artistique conçu par les élèves de l’École supérieure de théâtre Bordeaux-Aquitaine (éstba) est également proposé. 

Une méthode conviviale et collective

L’idée globale de ces événements, et ce qui fait leur originalité, c’est de faire de chaque rencontre un véritable projet culturel avec l’hospitalité comme maître mot : désacraliser le savoir et offrir un échange démocratique entre l’invité·e et le public dans une ambiance chaleureuse. 

Ces nouvelles formes de rencontres permettent aussi aux bibliothèques de développer leurs publics grâce à une sensibilisation en amont, et d’élargir leur fréquentation à des personnes nouvelles peu habituées à participer à ce genre d’activité culturelle. Il s’agit également de proposer des alternatives à des rencontres ou conférences plus classiques et grand public comme l’organisent des librairies, notamment à Bordeaux la dynamique Librairie Mollat.

Depuis peu, ces arpentages se sont élargis à un autre public des bibliothèques : les scolaires et plus précisément les lycéens. Il est proposé aux enseignants d’organiser dans leurs classes des arpentages avec leurs élèves en amont des rencontres du cycle Parlons !

Cette expérience riche et différente permet aux lycéens de découvrir la pensée d’un auteur avec l’aide des autres et non tout seul face à des écrits souvent intimidants. Déchirer les pages d’un livre et n’en prendre qu’un bout pour soi permet au final d’en comprendre la totalité avec les mots de chacun. 

Ces arpentages, qu’ils soient pour les scolaires ou pour le tout public, sont donc un moyen ludique et engageant de donner l’envie de lire et de comprendre le monde dans lequel nous vivons, dans le souci constant, et précieux aujourd’hui, du collectif.