A Bigger Splash
de Jack Hazan

Sortie d’une version restaurée en salle le mercredi 6 octobre (ressortie 1973).

À travers un fascinant mélange de fiction et de documentaire, A Bigger Splash nous emmène dans l’univers du peintre anglais David Hockney et révèle les liens qu’entretiennent la vie et la création.

A Bigger Splash
A Bigger Splash ©Films du camélia

L’avis de la bibliothécaire

(Auto)portraits

Les portraits documentaires constituent une écriture à part, à laquelle participent à la fois filmeur et filmé. Qui plus est dans le cas où un cinéaste filme la vie d’un artiste, un alter ego, car il interroge nécessairement le rapport qu’il entretient lui-même avec la création. Alors, quand le documentariste Jack Hazan réalise le portrait de l’artiste-peintre David Hockney, il y a de quoi y déceler un autoportrait fabriqué à quatre mains. Dans une mise en abîme onirique, le réalisateur et le peintre s’amusent ensemble à confondre rêverie et réalité, sujet et représentation, muses et personnages de tableaux, éléments biographiques et éléments inventés. Retour sur un jeu de miroirs en salle dès le 6 octobre.

Qui est le peintre David Hockney ?

Inspiré par le pop art et l’hyperréalisme, David Hockney est un contemporain d’Edward Hopper et d’Andy Warhol. Son œuvre a été présentée lors d’une grande rétrospective en 2017 au Centre Pompidou. Une exposition intitulée A Year in Normandie lui est à nouveau consacrée au Musée de l’Orangerie du 13 Octobre 2021 au 14 Février 2022, en écho des célèbres nymphéas de Monet.

Hockney est une figure des swinging sixties, ces années effervescentes où la mode, les arts et la musique de Londres donnent le ton au monde entier. Brillant, original et excentrique, il représente à lui-seul ce qui fait l’essence de « l’Artiste anglais » ; il devient vite une référence, notamment pour les créateurs de mode.

Techniquement, le peintre combine génie plastique et virtuosité en associant perspective inversée (technique picturale byzantine où le point de fuite se situe à l’avant d’un tableau) et réalisme photographique. L’alliance du style primitif et du naturalisme procure à celui qui regarde la peinture une sensation physique proche de la vision subjective. Ses œuvres grand format offrent ainsi une représentation immersive du monde.

A Bigger Splash
A Bigger Splash ©Films du camélia

Né à Bradford, dans l’Angleterre industrieuse, David Hockney quitte l’Europe pour rejoindre la Californie en 1964. Il n’est pas étonnant que ce territoire hédoniste peuplé de beautés solaires soit devenu pour lui une terre d’élection, un pays de Cocagne à la hauteur des fantasmes véhiculés par les revues homosexuelles de l’époque. La liberté que lui apporte la Californie sera aussi la source d’une grande créativité formelle. Le peintre approfondit là un travail sur l’eau et la lumière, la réflexion et la transparence, il entame des jeux de sur-cadrages intégrant des lignes architecturales à ses compositions : fenêtres, piscines,…

A bigger splash

Ce dernier décor inspira l’un de ses tableaux les plus célèbres : A bigger splash, titre éponyme du film, érigé en peinture iconique dès 1967. Jacques Hazan filme les années qui suivent ce succès, entre 1971 et 1972, période charnière dans l’œuvre de David Hockney s’apprêtant cette fois à quitter l’Ouest pour la ville de New-York. On ne trouve pas dans son film une vérité ontologique sur l’œuvre d’un peintre ni des explications d’historiens d’art, ce que l’on découvre, c’est l’ambiance d’une époque, la fugacité de la jeunesse et la célébration de la beauté.

La grâce du cinéma, entre peinture et photographie

Devant la beauté diaphane des corps et l’érotisme de chaque plan, il est impossible de ne pas voir les séquences du film comme des tableaux vivants, objets de fascination d’une incroyable poésie. Chaque rencontre révèle de nouveaux mystères. Les scènes sont enrobées d’une épaisse sensualité dans un rapport synesthésique au monde. On peut ressentir les fortes températures, toucher des yeux les grains de peau ou le luxe des étoffes. Toucher la grâce de la peinture au cinéma.

Il y a aussi au cœur de l’œuvre de David Hockney une véritable prédisposition pour le médium photographique. Elle se démontre par son attachement au passé et aux souvenirs. Le peintre capture d’abord les portraits de ses modèles avant de les porter sur la toile. Ses peintures semblent refléter la grâce d’un instant figé dans le temps où se jouent tous les récits vécus et en devenir, comme dans la photographie. Le film prolonge ces suspensions en donnant à voir un avant et un après aux espaces temporels de ses tableaux.

A bigger splash se parcourt narrativement comme un labyrinthe artistique dans lequel les frontières entre la vie et l’œuvre semblent de plus en plus s’atténuer, le montage s’amusant à interférer trois niveaux de réalités entre la vie réelle, l’œuvre picturale et la mise en scène du film. Ainsi les personnages jouent-ils un triple rôle, celui d’artistes, de modèles et de personnages.

A Bigger Splash
A Bigger Splash ©Films du camélia

« La nostalgie, c’est la décadence. »

David Hockney, en tant qu’artiste, semble éprouver la beauté comme un assujettissement. Il se fait le devoir de transformer le monde en y apportant de la lumière, de la couleur, du mouvement et de la grâce. Ce principe de vie semble dissimuler une mélancolie sourde. Peut-être que la beauté a aussi un rapport avec la fugacité de l’existence, la perte et la solitude. (Signalons ici que l’artiste, âgé de 84 ans à la sortie du film, produit toujours des œuvres colorées et solaires). En toile de fond, A bigger splash raconte aussi l’histoire d’une séparation. La fin de la relation entre Peter Schlesinger et David Hockney, malgré le marasme sentimental, devient l’occasion d’un nouveau départ géographique, pictural, émotionnel.

« Vous », « moi » et « elle » passons et disparaissons ; rien ne dure ; tout change ; mais pas les mots, pas la peinture.

V. Woolf, La promenade au phare

Postérité

Quelques années plus tard, Jack Hazan plonge encore dans l’interstice entre la fiction et le documentaire. En suivant la tournée des Clash, il invente un personnage de roadie complètement fictionnel pour le film Rude boy

Prix :

(1980).

  • Semaine de la Critique à Cannes 1974
  • Léopard d’argent au Festival de Locarno 1974
  • Festival du Film de New York en 1974

RESTAURATION 4K – Les Films du Camélia

Avec David Hockney, Peter Schlesinger, Mo Mac Dermott…

Angleterre, 1973, 1h46, Couleur, Visa : 43478

Marina Mis

Publié le 05/10/2021 - CC BY-SA 4.0

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