Appartient au dossier : Outils méthodologiques
Choisir une méthode d’enquête
Enquêter pour mieux connaître ses publics, leur composition, leurs modalités de fréquentation ou leurs usages des lieux, collections et services, est une démarche désormais courante en bibliothèque. Pourtant, il n’est pas forcément aisé de savoir quelle méthode mettre en œuvre en fonction de ses moyens, compétences et questionnements. Nous vous aidons à faire le point pour choisir la plus pertinente pour votre établissement.
Objectivité et neutralité : les deux piliers fondamentaux de l’enquête
Quelle que soit la méthode choisie, la démarche d’enquête, pour être méthodologiquement valable et efficace, doit reposer sur deux piliers fondamentaux : l’exigence d’objectivité et, surtout, l’impératif de neutralité. Il s’agit donc de se décentrer par rapport à l’institution qui la commande, jusqu’à proposer parfois une reformulation des questionnements initiaux, et de se distancer de ses cadres professionnels de référence pour se positionner du côté des personnes enquêtées afin de mieux les comprendre.
Partir des données existantes
Avant de choisir sa méthode d’enquête, il importe de recueillir et d’exploiter les données déjà existantes concernant ses publics et leurs usages : informations chiffrées produites par les nombreux outils informatiques (compteurs d’entrées, SIGB, modules statistiques…) mais aussi verbatims issus des cahiers des lecteurs, courriers transmis au médiateur, voire messages et propos relatifs à son établissement sur les réseaux sociaux numériques.
Nous recommandons aussi d’intégrer à ce travail préliminaire de collecte et de cadrage l’ensemble des informations disponibles concernant les données sociodémographiques et socioculturelles. Elles permettent de contextualiser l’activité de son établissement.
Enfin, il ne faut pas omettre d’inclure à cette collecte initiale les résultats d’enquêtes antérieures menées sur place ou dans des contextes similaires.
Cette première phase est indispensable car elle est susceptible de préciser et de redimensionner les attentes initiales concernant l’enquête. Elle peut même amener à abandonner le projet si elle montre que l’on dispose déjà des réponses aux questions que l’on se pose.
Quantitatif ou qualitatif : que choisir ?
Pour bien choisir, il faut d’abord bien différencier les résultats que l’on peut attendre des deux types de méthodes :
- Les méthodes quantitatives sont particulièrement efficaces pour décrire et recueillir des données factuelles, relativement faciles à chiffrer. Elles permettent ainsi de répondre à des questions simples telles que : combien ? Quand ? Où ? Qui ?
- Les méthodes qualitatives sont très utiles pour comprendre et recueillir des données par nature plus difficilement chiffrables ou non quantifiables et qui doivent par conséquent être exprimées sous forme de langage (formules, discours) : c’est le cas des représentations d’une manière générale (opinions, jugements de valeur…) et des logiques individuelles ou collectives qui motivent les usages constatés in fine en bibliothèque. Elles permettent de répondre à des questions plus complexes telles que : pourquoi ? Comment ?
Ces deux familles de méthodes se différencient aussi par les effectifs de personnes à enquêter : gros effectifs pour les méthodes quantitatives, analyse compréhensive en profondeur sur de petits effectifs pour les méthodes qualitatives. Ainsi, « il est toujours plus intéressant de conduire une enquête de publics sur un tout petit nombre d’entretiens qualitatifs que de réaliser une enquête par questionnaire sur un échantillon trop faible (50 à 150 personnes interrogées, par exemple) » (Christophe Evans, 2012).
Méthodes quantitatives : les enquêtes par questionnaire
Caractéristiques : le questionnaire est un formulaire standardisé et fixe de questions qui est diffusé à l’identique à l’ensemble des répondants d’une enquête donnée. Il peut être composé de questions fermées avec propositions de modalités de réponse – à réponse unique, à réponse multiple, à réponse ordonnée (telle une note) – et/ou de questions ouvertes sans propositions de modalités de réponse.
Avantages : les questionnaires permettent de produire une quantité importante de données essentiellement descriptives qui peuvent facilement être exprimées sous la forme de chiffres ou de pourcentages. Ces résultats sont ensuite faciles à communiquer efficacement sous forme graphique. Mettre en œuvre des campagnes d’enquête régulières en reprenant le même questionnaire permet aussi d’effectuer des comparaisons dans le temps et de mesurer les écarts et évolutions.
Inconvénients : si cette méthode paraît simple à mettre en place, ce n’est en fait pas le cas. Les procédures de mise au point des formulaires, la préparation du plan de sondage et les traitements des informations produites sont des opérations relativement complexes qui peuvent générer des biais. Il faut être attentif à ne pas demander trop d’efforts aux répondants. Pour les questionnaires auto-administrés, il faut ainsi à veiller à leur brièveté et à leur simplicité. Enfin, il est nécessaire de disposer d’un logiciel et des compétences nécessaires à son utilisation pour effectuer des traitements quantitatifs de données élaborés (croisements de variables, analyses factorielles…).
Méthodes qualitatives : les enquêtes par entretien
Caractéristiques : contrairement aux questionnaires, les entretiens ne sont pas standardisés. Chaque entretien possède sa logique propre et produit des données singulières comme des données transversales (c’est-à-dire que l’on retrouve d’un entretien à un autre). On distingue l’entretien non directif, c’est-à-dire dans lequel la personne interrogée est laissée totalement libre de l’échange, l’entretien semi-directif (mélange de non-directivité et de directivité, soit les entretiens les plus courants) et l’entretien directif (proche des questionnaires constitués de questions ouvertes). Les entretiens semi-directifs sont les plus couramment utilisés en bibliothèque. Même s’ils sont moins standardisés que les questionnaires, ils requièrent l’établissement d’un guide d’entretien permettant de lister les thématiques qui doivent être abordées sans qu’un enchaînement de thématiques prévale sur un autre.
Avantages : les enquêtes par entretiens sont très utiles au cours des phases exploratoires des études de public : quand on ne sait pas très bien ce que l’on cherche et quand on ne souhaite pas influencer les répondants avec des grilles de réflexion et de formulation préétablies. Elles apportent des éclairages et des nuances qu’il est difficile d’aborder par questionnaires.
Inconvénients : cette méthodologie est plus complexe à utiliser et peut-être plus impressionnante pour les bibliothécaires. Elle demande une certaine maîtrise des techniques de conduite d’entretien, et notamment de la relance non-directive. Par ailleurs, les entretiens sont généralement plus longs à mener et à traiter. Là où les données recueillies par questionnaire visent à une certaine représentativité, les résultats des entretiens qualitatifs sont « exemplaires » au sens statistique du terme.
Méthodes qualitatives ou quantitatives : les enquêtes par observation
Caractéristiques : on peut distinguer deux formes d’observation :
- Des observations qualitatives qui relèvent peu ou prou de la démarche ethnographique. Il s’agit d’observer en continu et en profondeur des individus ou des phénomènes sur des durées plus ou moins longues.
- Des observations quantifiées qui consistent à prélever en surface des informations sur de gros volumes et de manière systématisée.
Avantages : tout ne se dit pas en entretien ou dans un questionnaire. L’observation est alors une technique irremplaçable. Observer de manière répétée et continue, notamment dans le cas des observations participantes cachées, permet de voir les choses sous un autre jour.
Inconvénients : observer ne signifie pas forcément comprendre ce qui se passe réellement. Pour que cette méthode soit productive, il convient généralement de la combiner avec d’autres méthodes de recueil de données.
Méthodes qualitatives et prospectives : les groupes de discussion ou focus groups
Caractéristiques : plus que de simples entretiens collectifs, il s’agit plutôt de réunions de deux à trois heures auxquelles sont conviées des personnes qui généralement ne se connaissent pas (8 à 12 environ). Leur but est d’explorer des thématiques fixées à l’avance à l’aide d’une dynamique de groupe spécifique.
Avantages : comme les entretiens semi-directifs, les focus groups sont utiles au cours des phases exploratoires des enquêtes ; ils permettent de poser un cadre quand on n’a pas vraiment d’idées préconçues. Cette méthode est particulièrement utile dans une démarche prospective, pour envisager de nouveaux services, de nouveaux modes d’organisation. En fin d’enquête, ils permettent d’affiner les premiers résultats.
Inconvénients : c’est une méthode qui demande du temps et un savoir-faire minimum pour le recrutement des participant·es et le traitement des données recueillies.
Pour conclure
Quelle que soit la ou les méthodes employées, l’enquête demande un investissement conséquent. Plutôt que de réaliser des enquêtes au coup par coup, indépendamment les unes des autres, il est préférable de s’engager dans une stratégie globale de connaissance des publics qui intègre à la fois des aspects barométriques (reconduction dans le temps de procédures similaires pour mesurer des écarts) et des aspects plus ouverts (articulation de méthodes quantitatives et qualitatives, changements de focale du macro au micro).
Publié le 22/08/2025 - CC BY-SA 4.0
Pour aller plus loin
Panorama des enquêtes de public en bibliothèque. Mettre en œuvre la bonne démarche et choisir le bon outil, par Christophe Evans
Cette partie du collectif Évaluer la bibliothèque dirigé par V. Alonzo et P. Renard (Éditions du Cercle de la Librairie, 2012) vous donnera plus de détails sur ces différentes méthodes, ainsi que des exemples d’enquêtes menées en bibliothèque.
Ressource numérique consultable à la Bpi.