Le blocus étudiant : comment gérer les périodes de révisions intensives en bibliothèque ?
par Agathe Schnebelen, responsable Adulte à la Maison du livre, de l'image et du son de Villeurbanne

Agathe Schnebelen, responsable Adulte à la Maison du livre, de l’image et du son de Villeurbanne, a participé au voyage d’étude en Belgique. Elle partage son étonnement à propos du « Blocus », période de révisions où les lycéens et lycéennes belges fréquentent les bibliothèques de manière intensive.

Le « blocus » ?

La première fois qu’on l’a entendu, le terme nous a d’abord fait sourire. On a imaginé une bibliothèque assiégée par des étudiants campés devant la porte en attendant l’ouverture, ou envahie de l’intérieur par une horde estudiantine impossible à faire sortir à 18h. Quel que soit le réseau dans lequel les bibliothécaires présent.e.s travaillaient, la problématique parlait à chacun et chacune d’entre nous. Mais au fil des échanges nous comprenons que le terme « blocus » ne comporte pas de connotation guerrière ni ironique, et qu’il s’agit simplement du terme officiel utilisé en Belgique francophone pour désigner une période de révision intensive. Le blocus étudiant est évoqué lors de chacune de nos visites, avec plus ou moins de gravité, et représente indéniablement un temps fort annuel dans la vie de chaque bibliothèque, quelle que soit sa taille, sa localisation et les enjeux socio-économiques auxquels elle est confrontée.

Espaces de travail à la Bibliothèque La Célestine à Namur

Comment poser un cadre en restant accueillants pour tous ?

Le terme « étudiant » désigne en Belgique l’ensemble des élèves, du cycle secondaire au cycle d’études supérieures, on comprend que le blocus recouvre deux réalités et deux niveaux de difficulté à gérer pour les bibliothécaires : 

  • de la part des étudiants en études supérieures, l’exigence d’un cadre de travail dédié à leurs besoins (places assises, tables, prises, possibilité de manger et boire) et d’un silence total. Ces besoins bien définis se heurtent rapidement à la difficulté de cohabitation avec les usages multiples des autres personnes fréquentant la bibliothèque (public jeunesse, séjourneurs, travail en groupe, papotage…).
  • de la part des lycéens, une bibliothèque qui soit autant un lieu de travail que de sociabilisation, de concentration que de distraction. La bibliothèque est vécue comme le lieu incontournable de la période de révision pré-estivale, mais, étant peu voire pas fréquentée le reste de l’année, elle reste mal connue dans son fonctionnement, ses possibilités et ses règles. En résultent des tensions, avec les bibliothécaires et les autres usagers, liées à une agitation au mieux bruyante, au pire dérangeante voire dangereuse selon certains retours d’expérience (à la bibliothèque Le Gazomètre à La Louvière : intimidation, comportements agressifs). Cette problématique liée à l’accueil des lycéens avait fait l’objet d’un article co-écrit par Christophe Evans, l’un des participants à ce voyage d’étude, et qui appelait précisément les bibliothécaires à « […] bien voir que le balancement permanent entre la recherche de cadre – au double sens de lieu propice au travail et d’espace de contrainte – et l’envie récurrente de sortir du cadre est emblématique de cette génération qui fait ses premières armes en bibliothèque d’étude. »

Ces appropriations de la bibliothèque prises individuellement (comme lieu de travail, de calme, de détente, de sociabilisation…) sont légitimes mais se heurtent les unes aux autres lorsqu’elles dépassent une certaine intensité.

Des solutions mises en œuvre en urgence et sur le long-terme

Face au mécontentement des usagers tous confondus (d’une part les publics mentionnés ci-dessus et entravés dans leur pratique de la bibliothèque, d’autre part les autres publics, venus pour un autre usage de la bibliothèque), les bibliothécaires ont dû imaginer en urgence des solutions, dont les effets se sont parfois fait sentir sur le temps long, et ont dû se positionner pour prioriser certains usages sur les autres, poser des limites ou des interdits. 

Réaménagement des espaces pour clarifier les espaces et les usages

À la bibliothèque Bruegel à Bruxelles : modifier l’emplacement des tables par rapport aux collections car les étudiants demandaient aux parents de faire moins de bruit en lisant des histoires à leurs enfants, ce qui n’était pas acceptable pour les bibliothécaires dans le contexte d’une petite médiathèque de quartier travaillant en proximité avec le public jeunesse. L’objectif était de rendre les espaces de travail moins confinés au milieu des collections.

À la bibliothèque De Krook à Gand : afin d’éviter les tensions sur place, mise en place d’un système de réservation rendu obligatoire pour avoir accès aux places d’étude dans des salles dédiées. Les étudiants sont obligés de réserver leur place. En dehors de ces places dédiées, ils et elles  ne peuvent pas exiger le silence des autres usagers ni s’installer n’importe où (dans les escaliers, sur les tables de valorisation en poussant les documents…)

Espace gradiné dans la bibliothèque De Krook
La bibliothèque de Gand met en place des réservations de places obligatoires en périodes de révisions

Le centre de ressources B3 à Lièges a mis en place, dès sa conception, un espace très grand pour ce même usage, mais sans système de réservation, et sans surveillance. De nombreuses autres tables sont disposées dans le reste du bâtiment (très peu du côté des collections toutefois) permettant un usage plus libre et moins contrôlé des activités de groupe. Ces tables peuvent aussi bien être utilisées pour travailler que pour jouer par exemple.

Dans ces deux derniers exemples, la bibliothèque offre une solution claire au travail silencieux et en autonomie. Le travail en groupe impliquant des discussions est quant à lui considéré comme un des usages possibles des espaces ouverts à tous et est rendu possible dans la limite de la compatibilité avec les besoins des usagers alentour. 

Faire appel à des acteurs extérieurs, figures de médiation voire d’autorité 

Au Gazomètre, le recours aux médiateurs de rue a été très bénéfique vis-à-vis d’une partie des étudiants bruyants, mais insuffisante, de l’aveu des médiateurs eux-mêmes, dans le cas des jeunes usagers faisant preuve de comportements agressifs ou inappropriés (par exemple, suspicion de consommation de drogue dans les toilettes de la bibliothèques). Seules des rondes régulières de la police ont permis d’atténuer les difficultés en procédant à des fouilles au corps et des contrôles d’identité. Ces mêmes personnes causant des problèmes similaires dans les autres lieux publics de la ville (piscine, centre-ville), les policiers ont pu agir en conséquence, en lien avec les acteurs sociaux.

La bibliothèque Le Gazomètre à La Louvière

La thématique du blocus révèle le jeu d’équilibriste auquel toutes les bibliothèques se livrent en permanence : accueillir différents besoins et veiller à favoriser leur compatibilité via une réflexion sur l’adaptation des espaces, des offres et l’appel aux acteurs extérieurs à la bibliothèque mais qui œuvrent sur le même territoire.

Publié le 25/06/2025 - CC BY-SA 4.0

0 0 votes
Article Rating
S’abonner
Notifier de
guest
0 Commentaires
Oldest
Newest Most Voted
Inline Feedbacks
View all comments