Foire du Livre de Francfort 2015

Comme chaque année, le Service des Ressources Electroniques s’est rendu à la Foire du Livre de Francfort dans le cadre d’un voyage d’études avec le GFII. L’édition 2015 de la Frankfurter Buchmesse accueillait 275.791 visiteurs, répartis entre 140.474 professionnels et 135.317 visiteurs grand public et abritait 7.145 exposants, répartis entre 2.428 exposants allemands et 4.717 exposants internationaux.
C’est à Francfort, la plus grande foire du livre au monde, que sont négociés les droits de traductions des ouvrages du monde entier. Des espaces sont dédiés aux agents littéraires, et les stands des éditeurs fourmillent  de rencontres entre acteurs du monde de l’édition.
C’est un formidable vivier d’éditeurs dont on découvre avec curiosité la variété des installations et des collections présentes sur des stands plus ou moins grands, luxueux, dépouillés, animés, design…
On a remarqué notamment le modeste stand de la Biélorussie où l’on devinait que le poster de Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature 2015, avait dû être affiché un peu au denier moment…
La foire de Francfort représente un levier pour les pays émergents qui veulent booster leur marché littéraire. Deux ans après que le Brésil ait été invité d’honneur en 2013, le nombre d’auteurs brésiliens traduits et présents notamment en Europe et en Amérique latine a explosé. Cette année, l’Ukraine profitait de sa présence pour regretter que sa littérature soit aussi peu traduite, et peu visible…
   

Les faits marquants 2015

Un peu à l’écart de l’agitation de la foire, l’invité d’honneur, l’Indonésie, accueillait le visiteur pour une découverte du pays et de ses 17 000 iles, de sa gastronomie, de sa culture (littérature, danse, chant), des comics (ateliers de dessin).
 
 

Pavillon indonésien
@Alexander Heimann / Frankfurter Buchmesse

L’actualité politique a rattrapé la foire placée sous le signe de la liberté d’expression, « für das Wort und die Freiheit » (« Pour la parole et la liberté »). « La liberté d’expression n’est pas  négociable » a déclaré le directeur de la foire à la conférence de presse du 14 octobre qui accueillait Salman Rushdie pour le discours d’ouverture. L’actualité politique a rattrapé la foire placée sous le signe de la liberté d’expression, « für das Wort und die Freiheit » (« Pour la parole et la liberté »). « La liberté d’expression n’est pas  négociable » a déclaré le directeur de la foire à la conférence de presse du 14 octobre qui accueillait Salman Rushdie pour le discours d’ouverture. 

Salman Rushdie
@Marc Jacquemin / Frankfurter Buchmesse
pavillon iranien
Stand iranien : Pourquoi n’exposons-nous pas ?

La Foire du Livre s’est enfin ouverte cette année symboliquement aux réfugiés : gratuité et visites guidées ont été proposées par les organisateurs du Salon. 

Du côté des innovations en ligne

Comme les années précédentes, nous avons essayé de dégager les grandes tendances pour 2015. Les voici en  quelques mots clés : médias sociaux, open access, métadonnées, enrichissement des documents, interopérabilité, DRM, watermarking.

foire du livre
@Bernd Hartung / Frankfurter Buchmesse

Les médias sociaux, Wave 8 et quelques éléments de contexteLes médias sociaux, Wave 8 et quelques éléments de contexte

L’étude Wave s’intéresse aux médias sociaux dans le monde (elle couvre 65 pays). Wave 8 traite plus particulièrement des contenus et des motivations qui poussent au partage de ces contenus.
Ce langage du contenu est un élément essentiel de l’expression des internautes. Le partage  de contenus est à lier avec une quête de reconnaissance.
On remarque une forte progression des items liés à l’apprentissage (par rapport à l’amusement) pour les sites de partage de photos ou de vidéos.
Les réseaux sociaux professionnels sont en progression.
Enfin, le smartphone s’impose comme le matériel dédié au social (via les applications) : plus de 80% des internautes en possèdent un. Certains usages sont déjà plus “mobiles” que PC.
 

Ouverture des données publiques et open access : contenus gratuits et services payants

L’obligation de rendre accessible gratuitement en ligne les données publiques, et l’évolution des modèles d’édition vers plus de contenus en Open access sont en train de remodeler le paysage de l’offre de contenus.
 
De nouveaux modèles économiques se dessinent autour des données accessibles librement : personnalisation, communications, éditorialisation, enrichissement des métadonnées, etc. autant de service d’information « business to business » proposés à partir de données ouvertes. Des start-up  se créent sur ce modèle. Nous avons rencontré My Science Work, dont l’objectif est de fédérer un maximum de données scientifiques de qualité auprès d’éditeurs spécialisés, et de les mettre à disposition gratuitement sur une plate-forme. Les services associés aux usagers sont payants : personnalisation d’univers, de recherches, rédaction d’articles de synthèse, de vulgarisation.
Le directeur général de Springer Nature, Niels Peter Thomas, pense que le modèle des données ouvertes et services payants sera majoritaire en 2040 ; que dans ce contexte, les éditeurs deviennent des sociétés de structuration du savoir.
 

Visibilité et « trouvabilité » : structuration et métadonnées

De façon générale, à l’ère du Big data et de la profusion de données sur le web, la visibilité des données sur la toile passe par leur structuration et leur enrichissement.
 
Alors que la toute puissante recherche en plein texte à la Google les avait évincées, on a vues les métadonnées réapparaître en force à partir des années 2010.
 
Aujourd’hui, elles sont au centre de la « trouvabilité », le fait d’améliorer les performances des moteurs de recherche. Une société comme TEMIS, spécialisée dans la structuration d’information, fait de l’enrichissement de documents en créant des métadonnées (automatiquement ou non, avec contrôle humain ou non, cela dépend de la nature de l’information). L’objectif est que ces documents soient moissonnés sur le web et liés à d’autres documents ou bases de connaissances : qu’ils soient visibles. TEMIS a travaillé notamment pour des éditeurs de presse.  Les éditions Lefevre-Sarrut, quant à elles, ont fait appel à TEMIS pour améliorer le moteur de recherche de Dalloz.fr et essayer d’en faire une sorte « d’avocat en ligne ». Un projet à suivre …

Interopérabilité et protection des documents : des orientations différentes en France et en Allemagne
 

L’interopérabilité -matériels et contenus qui s’affranchissent des contraintes de formats et de plateformes- était un thème débattu cette année notamment concernant les livres électroniques : pouvoir lire un ebook acheté sur n’importe quel matériel de n’importe quel constructeur et n’importe où.
 
La distribution des ebooks relève aujourd’hui de deux écosystèmes :
·         les écosystèmes fermés (Amazon, Apple …) qui utilisent des formats propriétaires comme Mobi
·         les écosystèmes ouverts, basés sur le format ePub
 
Les écosystèmes fermés utilisent des DRM propriétaires, invisibles pour l’utilisateur final car intégrées aux outils, ou sous forme d’applications.
Les écosystèmes ouverts utilisent les DRM Adobe ou Sony (chères et pas du tout intuitives), choisissent d’être sans protection, ou encore optent pour l’alternative aux DRM : le watermarking.
 
Le watermarking, tatouage numérique ou “social DRM”, “soft DRM”, ne bloque pas techniquement la copie, mais ajoute des informations personnelles visibles et invisibles qui permettent de personnaliser un ebook et donc de dissuader le pirate, ces informations se retrouvant dans chaque copie.
 
L’interopérabilité est un facteur clé pour le marché européen du livre. Comment la favoriser ? C’était le thème d’une table ronde qui rassemblait des représentants de différentes institutions françaises, allemandes et européennes (Direction du livre et de la lecture du Ministère de la Culture et de la Communication (MCC), Commission européenne, European Digital Reading Lab, direction générale de l’association allemande des acteurs du marché du livre (CEO, MVB Marketing end Verlagsservice des Buchhandels GmbH).
 
L’industrie du livre est-elle prête pour l’interopérabilité en termes de standards techniques, et de modèles économiques ? Comparer les positions françaises et allemandes est particulièrement intéressant :
 
Côté allemand, le directeur de l’association des acteurs du marché du livre se réjouit d’une évolution positive de l’industrie du livre en termes d’innovation et d’adaptation. La clé est un marché compétitif, comprenant de nombreux acteurs et fournisseurs. Les allemands ont abandonné les DRM pour le watermarking ; déjà en 2013 à Francfort, une table ronde réunissant éditeur, diffuseurs et bibliothécaires pointait l’usage trop contraignant des DRM pour les lecteurs, et le rapport efficacité/prix insatisfaisant pour les éditeurs.
 
Pour le directeur du  livre et de la lecture du MCC français, le marché ne peut s’améliorer tout seul. Au niveau national, le Ministère s’est engagé dans le financement d’un laboratoire associatif, « European Digital Reading Lab», pour promouvoir l’interopérabilité et l’accessibilité via le format ouvert ePub auprès des plates-formes et des éditeurs. Mais pour rassurer les éditeurs français, des …DRM  sécuriseront les ebooks au format ePub ..

L’éditeur et le bibliothécaire

Avec l’évolution des supports, des contenus, des services aux usagers, les métiers changent. Les technologies de l’information sont partout.
Que recouvre le métier d’éditeur aujourd’hui, et demain avec l’autoédition ? Un éditeur de contenus personnalisés et interactifs dans le cadre des manuels scolaires par exemple ? Une société de structuration du savoir ?
Et quelles sont ou quelles seront les compétences des « data librarians » ?  En tous cas, elles devraient être au cœur du système avec leur maitrise des métadonnées …
 

Et du côté des bibliothèques allemandes ?

foire du livre
@Alexander Heimann / Frankfurter Buchmesse

L’éditorial du BuB (un genre de BBF…) d’octobre 2015 trace un parallèle entre la situation du monde de l’édition et celle des bibliothèques. Editeurs comme bibliothécaires se « battent » : BuB (un genre de BBF…) d’octobre 2015 trace un parallèle entre la situation du monde de l’édition et celle des bibliothèques. Editeurs comme bibliothécaires se « battent » :

  •  « contre » des « machines » dont personne n’arrive à évaluer la pertinence,
  • « contre » des lecteurs qui changent perpétuellement leurs habitudes
  • « contre » une concurrence croissante en dehors de leur secteur propre

Mais cette évolution est aussi une chance pour le bibliothécaire qui peut retrouver une place centrale, une place de médiateur. Proposer des ebooks ne suffit plus, il faut un « retour à l’humain ».  Le bibliothécaire doit  « apprivoiser » les nouvelles technologies, se les approprier pour mieux les exploiter.   
La Fachhochschule de Potsdam lance en 2014 le projet MyLibrary. Son but : élaborer des scénarios autour de la réalité augmentée dans les bibliothèques et aboutir au développement d’une application qui serait proposée au niveau national. 

Les porteurs du projet soulignent le changement de paradigme que connaissent les bibliothèques  (« on ne va plus à la bibliothèque, c’est la bibliothèque qui vient à nous ») et déplorent la « frilosité » des bibliothécaires face à la technologie. Les bibliothèques, un peu conservatrices vis-à-vis du numérique, se retrouvent ainsi à « courir sans cesse derrière les nouvelles technologies », au lieu de s’en emparer. A force de vouloir rattraper un train en marche, les bibliothèques subissent au lieu d’agir.
 
La réalité augmentée est de plus en plus utilisée dans l’automobile, l’édition, les librairies. Si cette technologie ramène les clients dans les librairies, pourquoi pas les usagers dans les bibliothèques ?
A titre d’exemple, l’application «Let Penguin guide people », proposée à l’aquarium de Tokyo et son appropriation par le public, entre surprise, admiration et étonnement (un projet technologique doit susciter ce type de « Wow Effekt » …)

 Les porteurs du projet rappellent enfin qu’avec la réalité augmentée, on touche du doigt la problématique du lien entre le physique et le virtuel, au cœur des préoccupations aujourd’hui …

Sophie Brezel et Salomé Kintz
Service des Ressources Electroniques

Publié le 18/12/2015

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