Forney, une bibliothèque patrimoniale hors norme
par Florence Verdeille, chargée de collections et médiations audiovisuelles à la Bpi
Dans le cadre d’un échange de professionnels, Florence Verdeille, chargée de collections et médiations audiovisuelles à la Bpi, a pu découvrir la bibliothèque Forney et ses collections exceptionnelles.
La Bibliothèque Forney fait partie des 16 bibliothèques patrimoniales et spécialisées de la Ville de Paris. Elle porte le nom de l’industriel Aimé Samuel Forney, qui a fait un legs à la Ville pour favoriser la formation aux métiers d’art et les valoriser. Initialement installée en 1886 dans une école des faubourgs du 11ème arrondissement, la bibliothèque Forney accueillait les artisans du quartier qui venaient se documenter pour leurs travaux d’art.
Depuis 1961, elle est dans l’Hôtel de Sens, rare vestige de l’architecture civile médiévale. Cet édifice qui accueillit longtemps divers industriels et artisans est racheté par la Ville en 1911. À l’époque, il tombe en ruines, sa restauration durera de longues années. Établir la bibliothèque Forney, spécialisée dans les arts décoratifs, métiers d’art, arts appliqués et arts graphiques, dans l’Hôtel de Sens, c’est rendre hommage aux multiples métiers qui occupèrent ce lieu, du verrier au confiturier en passant par l’opticien ou le coupeur de poils de lièvre.

La bibliothèque Forney propose à la fois une collection d’imprimés du 18ème siècle à nos jours (livres et revues, catalogues d’expositions, catalogues de ventes d’art publiques et de salons…) et une très riche collection patrimoniale iconographique d’une grande diversité : affiches, papiers peints, échantillons de tissus, cartes postales, maquettes et archives de professionnels, dessins originaux, documents publicitaires, catalogues commerciaux…
La bibliothèque Forney a pour singularité d’être à la fois une bibliothèque de conservation et une bibliothèque de prêt, ce qui détermine les conditions d’accueil.
Une bibliothèque de prêt
Environ 23 000 livres sont en accès libre et empruntables ; par manque de place, 3 500 volumes sont empruntables en accès indirect. Ils doivent être réservés au préalable via le catalogue pour pouvoir être emportés ensuite. Une partie de cette collection d’imprimés (catalogues d’exposition, ouvrages de référence en histoire de l’art, monographies d’artistes …) peut être présente dans d’autres bibliothèques spécialisées de la Ville de Paris (Bibliothèque historique, Heure joyeuse…) ou à la bibliothèque du musée des Arts décoratifs, à l’Inha (Institut national de l’histoire de l’art) , à la Bpi… mais les livres n’y sont consultables que sur place. La bibliothèque Forney est donc la seule bibliothèque d’art à prêter ses documents.
Une bibliothèque patrimoniale
Cependant, la collection de prêt ne représente en gros que 10 % de la collection des imprimés. L’essentiel des collections imprimées est donc une collection patrimoniale qui se consulte sur place. Elle est conservée dans les magasins de l’Hôtel de Sens ou, majoritairement, dans un grande réserve installée à Saint-Denis. Un système de navette permet la communication rapide des documents.

La consultation des collections
Le lecteur de Forney, muni de sa carte d’abonné, rencontre plusieurs modalités de consultation. Il y a le prêt, en accès libre ou en accès indirect ; pour les collections patrimoniales, la consultation sur place peut être immédiate lorsque le document est dans les magasins de l’Hôtel de Sens ou en différé s’il est conservé à Saint-Denis. Selon la typologie, l’état ou la rareté du document, la consultation se fera dans la salle de lecture attenante à l’espace prêt ou en salle de réserve, au 3ème étage. Certaines collections spécifiques ne sont consultables que sur rendez-vous.
Élargir le public
Consulter un livre de réserve est trop souvent associé à la notion de recherche. Aujourd’hui l’enjeu pour cette bibliothèque est d’inciter les lecteurs à « s’autoriser » la consultation des documents patrimoniaux (dans le respect des règles de conservation) au même titre que le reste de la collection courante.
Le public, en hausse constante, se familiarise de plus en plus avec cette collection et cela grâce à des actions culturelles régulières qui mettent en valeur son originalité et sa richesse : expositions thématiques autour de techniques artisanales (la laque, la reliure…), de genre d’expression comme le dessin de mode, les affiches ou expositions monographiques d’artistes comme Jeanne Malivel, Géo-Fourrier, Savignac…
Le public, étudiant en écoles d’art, professionnel de la mode ou des arts graphiques, habitant du quartier, amoureux des beaux livres… vient de plus en plus nombreux, conscient de sa chance de pouvoir consulter cette collection originale et précieuse et avoir le privilège d’emporter chez soi certaines de ces pépites dont voici une sélection !


Manuel
Nouveau manuel complet du luthier ou traité pratique et raisonné de la construction des instruments à cordes et à archet, traitant de la fabrication des cordes harmoniques en boyau et en métal, de J.C. Maugin (71 dessins et 42 schémas en 3 planches)
L. Laget, 1977
Ce traité pratique propose en six parties les techniques de fabrication des violons, altos, violoncelles, archets, cordes à boyau et métalliques, guitares, luths, théorbes, mandolines, mandoles, cithares, banjos, harpes et des instruments à archet et à clavier. Il est la réédition complète du Manuel Roret de Maugin, Maigne et Savart qui fut publié à Paris en 1894. Véritable encyclopédie des savoir-faire et des techniques professionnelles, la collection Roret reste une source d’information précieuse pour les historiens, artisans et restaurateurs.


L’Art et la folie, de Jean Vinchon (38 illustrations)
Stock, 1950
Ce médecin, reçu en 1910 au concours d’interne des asiles de la Seine, est chef de clinique quand éclate la Grande Guerre. Mobilisé, il la termine au Centre psychiatrique de l’armée d’Orient à Salonique ; démobilisé, il reprend son activité et, dans l’entre-deux-guerres, fréquente des surréalistes comme Guillaume Apollinaire. Beaucoup de médecins français vont à l’époque s’intéresser au surréalisme et à la science des rêves introduite par Freud. Jean Vinchon publie plusieurs ouvrages, dont L’Art et la folie en 1924, qui aura une réédition corrigée et augmentée en 1950, année où est organisé à Paris le premier Congrès international de Psychiatrie. Pendant ce congrès, une exposition d’art psychopathologique se tient à Sainte-Anne où figurent plusieurs œuvres de la collection réunie par Jean Vinchon ; celui-ci intégrant très tôt la peinture et le dessin dans la psychothérapie des malades qu’il suivait, considérant qu’il s’agissait là d’un nouveau moyen d’accès à l’inconscient.


Fiorucci : the book, d’Eve Babitz
NY, 1980
Ce très bel ouvrage retrace l’histoire de la marque Fiorucci qui fut l’une des grandes marques « symboles » de la fin des années 1970 et du début des années 1980. À la fois populaire et tendance, elle rayonna particulièrement à New York avec sa célèbre boutique de la 59e rue, où se succédèrent des personnalités telles qu’Andy Warhol, Madonna, Farah Fawcett, Marc Jacobs, Keith Haring, Calvin Klein, Klaus Nomi… Fiorucci fut l’un des pionniers de la mondialisation de la mode en important et en popularisant des articles exotiques comme le string brésilien ou le manteau afghan, en inventant le jean stretch, en popularisant les imprimés léopard et les tenues les plus flashy qui soient. La marque reste également indissociable du nightclubbing et du Studio 54 en particulier.


Kimonos art déco : tradition et modernité dans le Japon de la première moitié du XXe siècle : collection Montgomery, sous la direction d’Annie Van Assche
Edition des Cinq Continents, 2006
Cet ouvrage rassemble pour la première fois cet ensemble de kimonos de cérémonie, semi-cérémoniels ou de tous les jours, vestes honni, et sous-kimonos, confectionnés entre la fin du 19e siècle et le milieu du 20e siècle, et appartenant au célèbre collectionneur d’art japonais Jeffrey Montgomery.
Alors qu’un certain nombre de ces vêtements témoignent – par les motifs et les techniques utilisées – d’une continuité historique, d’autres attestent d’une rupture très nette avec la tradition. Les kimonos réalisés pendant l’ère Taisho, dans les années 1910-1920, se signalent par leurs emprunts aux mouvements artistiques en vogue à cette époque dans les pays occidentaux, comme l’Art nouveau ou l’Art déco. Portés par de jeunes Japonaises indépendantes, urbanisées et modernes, ces kimonos sont le reflet de la modernisation (occidentalisation) du Japon, au début du 20e siècle.
Dans les années 1940 et 1950, les tenues occidentales ont commencé à détrôner le kimono. Peu après, ce costume ne fut plus porté qu’en des circonstances exceptionnelles. Aujourd’hui, il est de nouveau à la mode et les jeunes femmes se sont mises à porter des kimonos anciens en les mettant au goût du jour.

23e Festival international de l’affiche et du graphisme de Chaumont, d’Étienne Hervy, Émilie Lamy
Pyramid, 2012
Dans le cadre de sa 23e édition, le festival expose les liens entre la musique et le graphisme, le design d’interfaces interactives, l’impression à la demande et les nouveaux outils,ainsi que le travail de Lézard graphique.
Ce concours international, considéré comme l’un des plus importants d’Europe, en se décloisonnant du média affiche, permet désormais au Festival d’élargir son attention à tous les supports dont la variété et l’interrelation constituent le design graphique contemporain. L’ensemble des propositions est ensuite conservé aux Silos, depuis l’ouverture du lieu en 1994. C’est cette collection contemporaine, désormais riche de plus de 30 000 références, en plus des 5 000 affiches de la fin du 19e siècle, léguées en 1906 à sa ville par le député Gustave Dutailly, qui fait aujourd’hui de Chaumont un lieu privilégié et incontournable du graphisme.


Périodique
Almanach de la maison en famille
Ed. du Moniteur, 1980
“Nous avons voulu qu’il soit pour vous l’agréable compagnon d’une année entière et pourtant nous l’avons conçu hors du temps, comme pour arrêter et préserver chaque instant agréable de votre vie”. C’est par ce préambule que la rédaction de cet almanach de 1950 accueille son lectorat. Des recettes de saison à comment occuper ses dimanches ou les étapes d’une rénovation bien pensée … pour chaque saison, chaque mois, des conseils, des nouveautés, des idées … pour que la vie de famille soit harmonieuse et joyeuse. Reprint d’un petit bijou de l’édition des années 50, avec une iconographie riche et très représentative de l’époque.
Publié le 04/10/2025 - CC BY-SA 4.0