Compte rendu de la journée professionnelle consacrée aux médiations autour du livre pour enfants
par Frédérique Bergeron, responsable jeunesse de la Bfm de Limoges

Retour sur la journée « Littérature jeunesse dans les familles : la médiathèque est-elle le seul lieu de médiation ? » du 12 novembre 2018, à la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges.

Les bibliothèques publiques, petites ou grandes, en ville ou à la campagne, ont toutes à cœur d’accueillir un public familial. La famille, c’est merveilleux pour les bibliothèques : c’est plusieurs abonnements à la clé, ce sont des emprunts en secteur adulte comme en secteur jeunesse. Tout le monde y gagne. Pourtant, les politiques d’accueil ne sont pas toujours développées en ce sens. On travaillera plus volontiers avec l’Éducation nationale, les centres de loisirs… Le public familial, plus volatil et moins facile à interpeller directement, est parfois un peu oublié dans nos réflexions. On considère peut-être qu’il viendra forcément. Et puis la notion de famille a beaucoup évolué ces dernières décennies : savons-nous vraiment de quoi on parle ?

Comme nous sommes des bibliothécaires jeunesse, nous nous préoccupons naturellement de la diffusion de la culture et de la connaissance auprès des générations futures. La littérature jeunesse, merveilleux vecteur, nous donne la matière idéale à mettre entre les mains des enfants (souvent via leurs parents et après avoir vérifié scrupuleusement le contenu des ouvrages). Nous choisissons avec soin des ouvrages de qualité, nous les valorisons, nous les lisons autant par plaisir que pour le travail, nous les aimons (même si, parfois, nous les désherbons). Cela suffit-il ? Non, bien entendu, et tout le monde en est conscient. Alors, si nous sommes ces acteurs essentiels du développement de la lecture chez l’enfant, du plaisir de lire et de découvrir, qui sont les autres partenaires qui peuvent, eux aussi, contribuer à ce travail ? Pouvons-nous travailler ensemble pour atteindre cet idéal : que chaque enfant ait la possibilité de découvrir la magie de la lecture et  conserve cette appétence tout au long de sa vie ?

Mais que lit-on aux enfants au sein des foyers ?

Pour répondre à cette question, deux intervenants nous ont rendu compte de leur travail en cours lors de cette journée. Il s’agit de Stéphane Bonnéry, sociologue, et Véronique Soulé, bibliothécaire. Accompagnés de leur équipe, ils travaillent sur les habitudes de lecture dans les familles concernant les enfants de 4 à 7 ans. Ils sont entrés dans les foyers de plusieurs familles pour photographier puis répertorier les bibliothèques enfantines. Ils livraient aujourd’hui leurs premières observations.

On peut constater en premier lieu que les enfants lisent différemment selon leurs origines sociales, leur place dans la fratrie, leur mode de socialisation, etc. Mais une constante demeure : entre 4 et 8 ans, l’injonction à la lecture est forte. Dans les familles populaires, on observe que la lecture est très liée au travail scolaire, mais les parents laissent l’enfant choisir ses livres librement. Dans les familles intellectuelles, c’est plus souvent le parent qui choisit pour l’enfant. L’album est souvent vu de manière utilitaire : lié à la réussite scolaire dans les familles populaires, lié au développement psychologique dans les familles intellectuelles.

Ensuite, on peut différencier plusieurs types d’ouvrages : ceux qui sont accessibles au premier degré (et donc pouvant être racontés par des parents peu cultivés) et ceux nécessitant de la réflexivité. C’est souvent le second type d’ouvrages qui est présent en bibliothèque, au risque de laisser sur le bord du chemin un public moins armé pour les lire.

Pour environ 100 familles (toutes catégories sociales confondues) interrogées, le nombre total de livres présents dans les foyers est de 6700, ce qui fait en moyenne 65 livres par famille. On peut noter que, dans 39 familles, on trouve des livres empruntés en bibliothèque. On note aussi qu’un tiers des ouvrages présents dans les familles populaires ne sont pas recensés sur Electre.

Si l’on classe les livres présents par héros (ou série), on constate qu’une famille sur quatre a un livre de Tchoupi sur ses étagères, même score pour la série « Les petites bêtes » d’Antoon Krings. Viennent ensuite les livres de Mickey et Minnie, ainsi que la série des « Max et Lili », puis les « Martine », les « Petit Ours Brun » et les livres de « Dora l’exploratrice ».

Si l’on étudie les chiffres par auteur, c’est Marlène Jobert (livres CD) qui est en tête, suivie de Grégoire Solotareff, auteur de Loulou. Par éditeur, on trouve en première place les éditions de l’École des Loisirs (dans 70 familles), suivies des éditions Walt Disney (présentes dans 60 familles), puis Hachette et Fleurus (dans 53 familles). Cendrillon est le conte le plus présent, suivi de Blanche-Neige puis de Peter Pan.Loulou. Par éditeur, on trouve en première place les éditions de l’École des Loisirs (dans 70 familles), suivies des éditions Walt Disney (présentes dans 60 familles), puis Hachette et Fleurus (dans 53 familles). Cendrillon est le conte le plus présent, suivi de Blanche-Neige puis de Peter Pan.

En dehors de la fiction, on peut noter qu’une famille sur trois possède un ou des livres sur la religion.

Comment les familles sont-elles vues dans la littérature jeunesse ?

Christian Bruel, auteur, éditeur et formateur dans le domaine de la littérature jeunesse, nous a proposé une lecture commentée, érudite et enlevée de plusieurs ouvrages sur le thème de la famille.

La représentation de la cellule familiale, au premier abord, nous semble évidente, universelle et indiscutable. Or, ce n’est pas le cas car on constate dans la réalité que la cellule familiale prend des formes multiples. La littérature jeunesse, quant à elle, en offre, certes, des représentations diverses, mais qui restent limitées. On ne trouve, par exemple, pas de cas de couple sans enfant qui soit heureux : sujet tabou ! Rares sont aussi les représentations de parents heureux lorsque les enfants  sont couchés ou momentanément absents. Sans parler des stéréotypes de genres, qui sont légion en littérature jeunesse. On peut trouver un cas de burn out maternel chez Anthony Browne dans A calicochon car, pour lui, la famille, c’est l’horreur. Il décrit dans ses albums tout un panel de familles malheureuses, seule la famille monoparentale trouvant grâce à ses yeux. Enfin, on ne trouve pas ou très peu de représentations de vies en communauté.burn out maternel chez Anthony Browne dans A calicochon car, pour lui, la famille, c’est l’horreur. Il décrit dans ses albums tout un panel de familles malheureuses, seule la famille monoparentale trouvant grâce à ses yeux. Enfin, on ne trouve pas ou très peu de représentations de vies en communauté.

Nous donnons donc à voir aux enfants, à travers la littérature jeunesse, consciemment ou inconsciemment, des modèles familiaux peu diversifiés. Quel impact sur le développement du goût de la lecture chez les enfants issus de modèles familiaux non (ou peu ou mal) représentés ?

Comment les bibliothèques œuvrent-elles auprès des familles et comment d’autres structures développent-elles des actions pour promouvoir la littérature jeunesse ?

Concrètement, que font les bibliothèques pour accueillir les familles ? Et que font les autres acteurs de la cité pour promouvoir la littérature jeunesse auprès de leur public familial ? Nous ne sommes jamais les seuls acteurs sur le territoire. Et, au-delà des actions menées par l’Éducation nationale, partenaire privilégié, d’autres exemples peuvent nourrir les réflexions.

Plusieurs courtes interventions ont permis d’alimenter les échanges qui ont été passionnés et engagés. Parmi les exemples cités, on trouve :

  • L’expérience de la médiathèque l’Alpha à Angoulême, qui dispose d’un service de garderie afin de permettre aux parents de faire leur choix de documents dans la médiathèque pendant que les plus jeunes sont encadrés par une éducatrice de jeunes enfants dans un espace dédié. Ce service fonctionne mais on constate que les parents sont aussi heureux de passer un moment privilégié avec leur enfant dans cet espace, ce qui n’était pas son objectif premier.
  • La Bfm de l’Aurence à Limoges propose des séances de « bébés lecteurs » aux crèches, séances qui sont reproduites spécialement pour les parents et les fratries à la bibliothèque, sur un créneau horaire dédié. Ainsi, les familles sont impliquées dans la vie de la crèche et sensibilisées aux bienfaits de la lecture pour les plus jeunes.
  • L’association Mes mains en or édite des livres jeunesse en braille. Elle travaille également sur un kit de médiation pour sensibiliser tous les enfants au handicap visuel, à destination des bibliothèques et des enseignants.
  • La CAF de Limoges propose dans son « Espace Familles », lieu ressource pour ce public, des animations autour de la littérature (contes, etc.) mais aussi une petite bibliothèque.
  • La librairie indépendante Rêv’en Pages de Limoges, spécialisée dans la littérature jeunesse, propose aussi des animations pour faire rayonner la littérature jeunesse : contes, dédicaces, etc.
  • Au musée des Beaux-Arts de Limoges, la médiation culturelle auprès des familles est également un enjeu : des jeux d’observation pour les enfants ont été installés dans les salles du musée afin que les plus petits s’approprient les œuvres présentées et que le parcours de visite soit agréable pour toute la famille.

Chacun tente, à sa façon et avec ses moyens, de développer auprès du jeune public le goût pour la culture, la littérature, et de promouvoir auprès des parents (grands-parents et autres !) cet intérêt. Nous sommes tous engagés en ce sens et nous tentons de mettre entre les mains des enfants des ouvrages de qualité et de donner à voir aux familles tout le plaisir que nous éprouvons à la lecture de ces livres, à travers des animations  variées.

Chaque jour, nous réinventons nos pratiques, en restant à l’écoute des familles elles-mêmes qui inspirent souvent les meilleures solutions à cette question. Et prendre conscience, en tant que bibliothécaires jeunesse, que nous pouvons construire avec de nombreux partenaires sur nos territoires des formes de médiation de qualité, c’est déjà se donner les moyens d’atteindre notre objectif commun de valorisation de lecture auprès des enfants.
 
 

Publié le 17/10/2019

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