12 jours
de Raymond Depardon

Sortie en salles le mercredi 29 novembre 2017.

La loi du 27 septembre 2013 impose aux patients hospitalisés en psychiatrie sans leur consentement d’être présentés à un juge de la liberté et de la détention dans un délai de 12 jours, puis tous les six mois si c’est nécessaire. Raymond Depardon à l’image et Claudine Nougaret au son filment l’audience de dix patients.

12 jours © Palmeraie et désert, 2017

L’avis de la bibliothécaire

« De l’homme à l’homme vrai le chemin passe par le fou » (Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, 1976)Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, 1976)

Présenté hors compétition au festival de Cannes en mai 2017, 12 jours est le 20ème long métrage documentaire de Raymond Depardon, cinéaste, photographe et écrivain. C’est la troisième fois que Raymond Depardon s’intéresse à la psychiatrie. Si San Clemente (1980) filmait les derniers jours avant sa fermeture de l’hôpital psychiatrique sur une des îles de la lagune à Venise, Urgences (1987) montrait le service des urgences psychiatriques de l’Hôtel Dieu à Paris où sont admises les personnes en crise.
Avec 12 jours Depardon veut sortir des poncifs et nous propose des images inédites de l’hôpital psychiatrique en filmant les audiences de malades internés d’office (sans leur consentement) avec quatre juges (deux hommes et deux femmes) de la liberté et de la détention. Les juges qui disposent des dossiers médicaux élaborés par les psychiatres (absents de l’audience) doivent vérifier si la procédure est correcte, s’il n’y a pas d’abus de pouvoir du côté des médecins et donner leur accord pour toute poursuite d’hospitalisation. Lors de l’audience la parole est donnée aux patients assistés d’un avocat. Le dispositif de ce cinéma de la parole repose sur trois caméras : une pour le patient, une pour le magistrat et une troisième pour un plan général. Ce dispositif qui vise l’équidistance entre le patient et le magistrat tend également à donner au spectateur une distance, un regard critique.

Un dialogue est engagé

Sur les 72 audiences filmées, 12 jours nous présente dix patients en souffrance, recueillant la parole précieuse de ces « invisibles ». Aucun patient ne verra la procédure d’hospitalisation levée. Aucun des patients ne recouvrera la liberté pendant le tournage. Le travail des juges qui appliquent la loi au sein de l’hôpital psychiatrique est à la fois difficile, complexe et d’une grande nécessité. Chaque audience met le spectateur dans un état de veille et d’interrogation quant à la porosité entre le monde de « la normalité » et celui de l’aliénation. Des patients issus de différents services de l’hôpital dont l’UMD (unités des malades difficiles) ont droit à la parole assistés dans leur reformulation et aidés dans l’exposé de leur argumentaire par des avocats. Mais c’est le dialogue entre le patient et le juge souligné par un montage en champ/contre champ qui focalise le plus notre attention. Aucune voix off ne vient parasiter les échanges. Là, dans ce bureau, les souffrances individuelles se disent et en même temps, au fur et à mesure des audiences, se dessine une photographie de la société. Il est question de violence, de tentatives de suicide, de problèmes familiaux, de viols, d’agression, de violence et de souffrance au travail, de burn-out, de dépressions… Dans le mouvement de ces dialogues, dans leur intensité, à travers les mots insensés ou les paroles d’une extrême lucidité sourd la vraie liberté qui sera, sinon la guérison, du moins un « être mieux » condition d’un lien social, d’un lien à l’autre retrouvé.

« Ce qui était vraiment touchant, c’est cette parole qui sort. Certains arrivent des chambres d’isolement ou des UMD où ils ont parfois été attachés à leur lit » (Raymond Depardon)
 
 

Une lumière, peut-être…

Le film se compose aussi de travellings dans les couloirs vides de l’hôpital, de plans fixes sur un lit sanglé d’UMD, sur des cours entourées de grilles ou de bâtiments plus anciens de l’hôpital, Le Vinatier à Lyon, l’un des plus grands d’Europe. Par moments la caméra sort du bureau des audiences pour traverser les lieux de vie de l’hôpital, ses bruits assourdis, ses portes qui claquent, ses serrures verrouillées, ses pavillons où les malades peuvent circuler, s’asseoir sur un banc, fumer une cigarette, boire un café, croiser la caméra du réalisateur. Depardon filme ainsi un temps suspendu entre les fragments d’audience, un temps où s’inscrit la musique d’Alexandre Desplat, une ballade en mode mineur qui, elle-aussi, nous accompagne dans l’hôpital psychiatrique.
Il est aussi des images apaisées et apaisantes, celles de la brume et du soleil timide de l’hiver dans cette région où Depardon vécut son enfance et qu’il aime à retrouver. Cette douceur, cette lumière et cette musique nous font, pour un temps, oublier et accepter à la fois les regards chargés de médicaments sans doute nécessaires, les difficultés d’élocution ou la diction mécanique qu’ils peuvent provoquer, toute chose humaine, tellement humaine…

Rappel

12 jours, de Raymond Depardon, image et réalisation ; son et production Claudine Nougaret, musique Alexandre Desplat, production Palmeraie et désert, France 2 cinéma, Auvergne-Rhône-Alpes-Cinéma, 2017, 1 h 27 min

Distinctions : Sélection officielle, hors compétition, Festival de Cannes 2017
Festival de Namur, FIFF 2017, Bayard de la meilleure photographie
 
Distribué par Wild Bunch Distribution

12 JOURS de Raymond Depardon from V.O. on Vimeo.

Publié le 28/11/2017 - CC BY-SA 4.0

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